Nous les appelons Aïssatou* et Ibrahima*. Ils se sont mariés il y a quelques mois à Conakry. Devant l’officier de l’état civil, ils ont présenté un certificat médical prénuptial, comme l’exige la loi guinéenne. Pourtant, aucun des deux n’a passé le moindre test. « On nous a dit qu’il fallait ce document pour se marier. Quelqu’un à la mairie nous a proposé de l’acheter directement. Alors, nous l’avons fait. On se connaît bien, on sait qu’on est en bonne santé », assure Aïssatou* en haussant les épaules.
Comme ce jeune couple, de nombreux Guinéens choisissent de contourner cette obligation légale. Le Code civil guinéen, dans ses articles 201 et 211, impose pourtant la soumission à l’examen médical avant de se marier, afin de dépister d’éventuelles maladies transmissibles ou héréditaires. Mais dans la réalité, cette disposition est largement ignorée. Par peur, par méconnaissance ou par facilité, beaucoup préfèrent l’éviter, quitte à exposer leur futur foyer à de graves risques.
Une peur silencieuse
Alseny*, 28 ans, célibataire, redoute le jour où sa famille le poussera à se marier. « Je ne ferai jamais de test prénuptial. J’ai un cousin qui a découvert qu’il était drépanocytaire à cause de ça. Son mariage a été annulé. Je ne veux pas vivre ça », confie-t-il, le regard fuyant.
Un de ses amis partage la même appréhension. « Si on fait le test et qu’on découvre qu’on est malade, qu’est-ce qu’on fait ? Cela peut briser un couple, une famille, une vie. Moi, je préfère ne pas savoir », enchaine ce camarade.
Pour beaucoup, le test prénuptial est bien plus qu’un simple examen médical. C’est une épreuve émotionnelle et sociale, dans un contexte où certaines pathologies, comme le VIH/SIDA ou la drépanocytose, restent fortement stigmatisées.
Des choix déchirants
De nombreuses unions ont été rompues après la découverte d’une incompatibilité génétique entre les prétendants. Fatoumata*, atteinte de drépanocytose de type SS, raconte avoir dû renoncer à un mariage par souci de responsabilité. « C’est une maladie qui se transmet en famille. Chez mes parents, nous sommes deux à en être atteints. J’ai grandi à l’hôpital. J’ai eu un prétendant qui était aussi drépanocytaire. Mais, sur les conseils du médecin, nous avons annulé le mariage. Aujourd’hui, je suis mariée à un homme non drépanocytaire, qui a accepté ma condition dès le début. Peut-être que nos enfants seront porteurs sains, mais ils ne seront pas malades », espère la jeune femme de 27 ans.
Ce témoignage met en lumière la complexité des décisions auxquelles sont confrontés certains couples. D’autres, moins informés ou moins chanceux, découvrent trop tard leur incompatibilité, souvent après la naissance d’un enfant atteint d’une maladie génétique.
Un système de contournement bien rodé
Si tant de couples parviennent à se marier sans passer de test, c’est que le contournement est devenu pratique courante. « Il suffit d’aller à la mairie ou dans certaines cliniques privées, de payer un petit montant, et on obtient le certificat sans même voir un médecin », regrette une femme mariée depuis un an.
Des fonctionnaires municipaux, souvent faiblement rémunérés, tirent profit de cette situation, tandis que les couples s’épargnent un examen jugé intrusif ou anxiogène. Le résultat : des unions contractées dans l’ignorance totale de l’état de santé des conjoints avec des conséquences non négligeables pour leurs (futurs) enfants.
Parlant justement des graves conséquences, Dr Alpha Saliou Barry, spécialiste en santé publique, voit chaque année les effets de ces négligences. « Beaucoup découvrent trop tard qu’ils sont porteurs sains de maladies héréditaires comme la drépanocytose. Un simple test aurait pu éviter la naissance d’un enfant malade », rappelle-t-il.
Les statistiques sont inquiétantes : environ 12% de la population guinéenne est concernée par la drépanocytose, et le taux de prévalence du VIH/SIDA s’élève à 1,5%. Pourtant, la majorité des couples ne se fait pas dépister avant le mariage.

Dr Alpha Saliou Barry
Aminata* en est un exemple tragique. « Mon mari était séropositif sans le savoir. Moi non plus. Aujourd’hui, je suis infectée, et notre fils l’est aussi », regrette-t-elle.
Un manque criant d’action de la part de l’État
Malgré l’existence d’un cadre légal, aucun dispositif sérieux n’est mis en œuvre pour vérifier l’authenticité des certificats médicaux prénuptiaux. Aucun agent de mairie ou de santé n’a été sanctionné pour la falsification d’un document. Et les campagnes de sensibilisation sont rares et peu visibles. « La plupart des gens ignorent l’objectif réel du test prénuptial. Pour eux, c’est juste un papier à fournir pour le mariage », regrette Dr Alpha Saliou Barry.
D’autres pays africains comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire ont mis en place des contrôles stricts, réduisant les fraudes et augmentant le taux de dépistage prénuptial.
Que faire pour changer les mentalités ?
Pour inverser cette tendance, plusieurs leviers peuvent être actionnés. D’abord, renforcer la sensibilisation auprès du grand public, en impliquant les leaders religieux, coutumiers et communautaires, qui jouent un rôle clé dans les mariages.
Ensuite, lever les obstacles financiers en rendant les tests gratuits ou en les intégrant dans les services de santé de base. Dans certains pays, des campagnes de dépistage mobile permettent d’atteindre les populations les plus reculées.
Enfin, mettre en place un système rigoureux de vérification des certificats médicaux, assorti de sanctions claires en cas de falsification, permettrait de dissuader les fraudes.
Une question de santé publique
Le test prénuptial ne doit pas être perçu comme une simple formalité administrative, mais comme une mesure de prévention majeure. Il protège les couples, leurs futurs enfants et la société dans son ensemble.
Aïssatou* et Ibrahima*, comme tant d’autres, ont préféré la facilité. Peut-être n’en subiront-ils jamais les conséquences. Mais pour beaucoup d’autres, l’ignorance ou le refus du dépistage peut coûter bien plus cher qu’un “simple” certificat médical.
*Prénoms d’emprunt
Adama Hawa Bah