Drépanocytose en Guinée : une urgence de santé publique encore sous-estimée…
Drépanocytose en Guinée : une maladie héréditaire grave, encore mal prise en charge. Découvrez enjeux, prévention, dépistage et accès aux soins.
Drépanocytose en Guinée : une maladie héréditaire grave, encore mal prise en charge. Découvrez enjeux, prévention, dépistage et accès aux soins.
Classée quatrième priorité mondiale par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) - après le cancer, le VIH/SIDA et le paludisme -, la drépanocytose, aussi appelée « maladie des os », reste une affection silencieuse et trop peu prise en compte en Guinée. Pourtant, elle fait chaque jour de nouvelles victimes et bouleverse la vie de milliers de familles. Maladie génétique héréditaire, elle affecte l’hémoglobine, cette protéine des globules rouges qui transporte l’oxygène dans le corps.
Chez les personnes atteintes, les globules rouges deviennent rigides et prennent la forme d’une faucille, d’où le nom « falciforme ». Ces cellules déformées bloquent la circulation sanguine et réduisent l’oxygénation des organes, provoquant de graves complications : anémie chronique, crises douloureuses, infections répétées, atteintes osseuses, voire des accidents vasculaires cérébraux (AVC) ou des arrêts de production de globules rouges.
La maladie ne se manifeste que si l’enfant hérite du gène muté de ses deux parents. Si un seul gène est transmis, l’individu est porteur sain : il ne présente aucun symptôme mais peut transmettre la maladie ou la gène.
En Guinée, les chiffres sont alarmants : environ 20% de la population serait porteuse saine et 5% atteinte de la forme majeure de la drépanocytose (SS).
Selon le Dr Mamady Dramé, président et fondateur de SOS Drépano Guinée, la cohorte de patients recensés depuis 2008 dans son centre atteint déjà 700 000 personnes. « Au niveau de notre centre, il n’y a pas un seul jour sans nouveau cas de drépanocytose. Notre cohorte, depuis l’obtention de l’agrément en 2008, se situe aujourd’hui à 700 000 patients. Mais si l’on prend les 20% de porteurs sains, cela représente environ 2 800 000 personnes sur 14 000 000 d’habitants [en Guinée]. Quant aux malades, on les estime à environ 5%. Ce qui ferait près de 700 000 patients », a-t-il alerté récemment dans une intervention sur les antennes de la Radio télévision guinéenne (RTG).
Le dépistage néonatal systématique, pourtant recommandé dès la naissance, n’est pas encore généralisé dans le pays. Ce qui retarde la détection de la maladie et entraîne souvent des confusions diagnostiques. « C’est ce qui fait que la maladie n’arrive pas à être prise en compte rapidement. Elle est confondue avec d’autres pathologies comme le paludisme quand il y a de la fièvre, avec l’anémie quand l’enfant est anémié, ou encore avec des affections ostéo-articulaires quand il a mal aux os. Le personnel médical n’est pas bien outillé et n’a pas la formation suffisante pour diagnostiquer la drépanocytose », a ajouté le Dr Dramé.
En l’absence de soins adaptés, les crises deviennent difficiles à supporter pour les malades. L’accès aux antidouleurs puissants comme la morphine injectable est quasi inexistant. « Nous n’avons pas accès à la morphine sous forme injectable. De temps en temps, nous en avons sous forme orale, mais elle n’est pas suffisamment efficace lors de crises douloureuses sévères. Ainsi, quand un malade est en crise, on a recours à des associations de produits comme le paracétamol ou l’ibuprofène… », a déploré le spécialiste lors d’un passage dans l’émission Priorité Santé diffusée sur RFI.
L’hydroxyurée, traitement de fond qui réduit les crises et améliore la qualité de vie, est distribué « au compte-gouttes », grâce au soutien de la Fondation Pierre Fabre, un partenaire de SOS Drépano Guinée. Mais là encore, l’insuffisance des approvisionnements et le coût limitent son accessibilité.
Pourtant, la drépanocytose est évitable. La prévention primaire repose sur le dépistage prénuptial des futurs conjoints, afin d’éviter les unions entre deux porteurs sains. « Il faut insister sur la prévention primaire. Elle est possible. Cela consiste à éviter l’union de deux porteurs sains à risque. Parce qu’aujourd’hui, quand un enfant naît drépanocytaire dans une famille, on accuse souvent l’un des parents de transmission. Très souvent, l’un des deux affirme qu’il n’a rien et que cela vient de l’autre. Dans bien des cas, c’est la mère qui est accusée, souffrant de douleurs lombaires ou rénales, souvent attribuées au surmenage. De l’âge de jeune fille à celui de mère, et même au-delà, elle est constamment exposée à ces accusations. J’insiste toujours : la drépanocytose est difficile à guérir mais facile à prévenir », rappelle Dr Mamady Dramé.
Le centre SOS Drépano Guinée mène régulièrement des campagnes de sensibilisation dans les universités pour informer les jeunes étudiants de l’importance de connaître leur statut génétique.
À la veille de la journée internationale de la drépanocytose, célébrée chaque 19 juin, une caravane de dépistage a été organisée par SOS Drépano à Conakry. Les analyses sont réalisées progressivement. Une fois les résultats validés, les porteurs sains sont convoqués au centre, où leurs résultats leur sont expliqués et accompagnés de conseils pour éviter une union à risque. « Notre action et notre projet dans les années à venir, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait aucun premier dépisté malade parmi les enfants de ceux qui auront été identifiés porteurs sains », promet-il.
Aujourd’hui, la drépanocytose est rattachée au programme des maladies non transmissibles du ministère de la Santé. Mais, selon nos informations, aucune ligne budgétaire spécifique ne lui est consacrée.
Pour le Dr Dramé, il est temps de créer un programme autonome, comme pour le paludisme, la tuberculose ou le VIH/SIDA. « Notre souhait est de sortir la drépanocytose de ce programme global et d’en faire un programme autonome, comme celui du paludisme, de la tuberculose ou du VIH/SIDA. Imaginez qu’au moins 20% de la population soit porteuse saine. Si ces personnes s’unissent sans dépistage préalable, le nombre de malades risque d’augmenter jour après jour », prévient-il.
Face à l’ampleur silencieuse de cette maladie, la Guinée doit renforcer le dépistage, former davantage de spécialistes, équiper les centres existants et surtout rendre les traitements accessibles. Il en va de la survie et de la dignité de milliers d’enfants, de jeunes et de familles.
Mohamed Diawara