À Kankan, des enfants talibés, censés étudier le Coran, sont contraints à la mendicité dans les rues chaque soir. Une réalité alarmante qui soulève des inquiétudes sur l'exploitation, la précarité et l'avenir de ces jeunes venus de régions rurales ou de pays voisins.
À Kankan, la mendicité prend un nouveau visage : celui des talibés. Ces enfants, censés apprendre le Coran dans les écoles religieuses, errent chaque soir dans les rues, aux abords des restaurants et lieux huppés de la ville, tendant la main à la recherche de quelques billets de banque. Un phénomène qui inquiète et indigne, tant il compromet l’avenir de ces jeunes venus, pour la plupart, de zones rurales de la Guinée ou de pays voisins.
Envoyés à Kankan pour étudier dans les foyers coraniques, ces enfants sont souvent livrés à eux-mêmes. Certains maîtres, faute de moyens, par négligence ou encore par envie de se remplir les poches, les poussent à mendier. Certains seraient victimes de violences s’ils ne rapportent de l’argent à leurs maîtres.
Il est 22 heures devant un restaurant du centre-ville de Kankan. Une nuée de gamins attend la sortie des clients. Parmi eux, ce gamin d’à peine, venu d’une préfecture voisine dont nous avons préféré garder l’anonymat pour lui éviter des représailles. « Mes parents m’ont confié au centre d’apprentissage Cherifoula. Le soir, nous sortons mendier parce que nous n’avons pas assez à manger. L’argent récolté sert à acheter à manger, satisfaire nos besoins et parfois à obtenir la bénédiction de notre maître », dit-il, en avouant qu’une partie de la quête tombe dans les poches de son maître coranique.
Cette situation choque de nombreux habitants de Nabaya. Mohamed Kaba, un client témoin de la scène, s'indigne en posant la question suivante : « Un enfant qui apprend à mendier, que deviendra-t-il demain ? »
Un vieux phénomène…
Selon Mohamed Lamine Ringo Kaba, porte-parole des sages, la ville de Kankan a toujours été un haut lieu de l’islam, attirant des apprenants de toute la région. Les descendants des grands érudits, comme ceux du Cheick Fanta Mady Chérif, accueillent encore des enfants dans un esprit d’hospitalité. Mais pour certains, la tradition a glissé vers une exploitation dissimulée.
Karamo Mohamed Lamine Bamba, maître coranique et descendant du Cheikh, nuance : « Tous les enfants qui mendient ne sont pas des talibés. Certains imitent leurs amis et en font un business. Mais dans mon centre, j’en prends soin. J’en héberge 43, venus de plusieurs préfectures. Je les nourris, soigne et scolarise moi-même. La mendicité ne fait pas partie de notre enseignement », assure-t-il. L’érudit appelle les autorités à encadrer sérieusement cette pratique. « Il faut identifier qui peut réellement accueillir et encadrer ces enfants. C’est une urgence », ce maître coranique.
Pour Mamadi Kaba, directeur de l’ONG ASAMI (Agir pour la Santé Maternelle et Infantile), une ONG qui évolue dans le domaine de protection et de l'encadrement des enfants, ce fléau met en péril la sécurité des enfants. « Leur nombre augmente chaque jour. Il faut mobiliser des ressources ou appuyer les maîtres pour les sortir de cette mendicité », plaide cet acteur de la société civile.
Le sociologue Dr Karamo Condé analyse cette pratique sous un angle plus large. Il y voit les effets d’un effondrement du cadre familial, d’une éducation parentale affaiblie et d’une société de plus en plus influencée par le matérialisme. « L’imitation de modèles extérieurs, la perte des repères culturels et religieux, et l’absence de contrôle parental ouvrent la voie à ces dérives. Un enfant livré à lui-même, sans cadre structurant, peut vite dévier. Il est urgent que la famille, l’école et l’État reprennent leur rôle d’éducateurs », appelle-t-il.
Du côté de la Direction régionale de la Promotion féminine et de l’Enfance, le phénomène est bien connu des autorités. « Certains maîtres coraniques acceptent trop d’enfants sans avoir les moyens de les encadrer. Nous avons sensibilisé et convoqué plusieurs d’entre eux, mais la situation persiste. Les enfants qui errent la nuit sont exposés à des dangers graves », reconnaît Bakary Condé.
Aujourd’hui, le phénomène interpelle toutes les consciences. Le silence ou la tolérance sociale ne doivent plus continuer face à une réalité qui expose des centaines d’enfants à l’exploitation, la faim, et à la rue. L’heure est à l’action coordonnée et ferme pour préserver leur dignité et leur avenir.
Sékou Bourgeois Camara