Guinée : des manuels scolaires gratuits vendus dans les marchés
En Guinée, des manuels scolaires destinés à être gratuits se retrouvent vendus dans les marchés. Un phénomène préoccupant entre détournement, contrefaçon et impact sur l’apprentissage.
En Guinée, des manuels scolaires destinés à être gratuits se retrouvent vendus dans les marchés. Un phénomène préoccupant entre détournement, contrefaçon et impact sur l’apprentissage.
Alors qu’ils sont censés être distribués gratuitement aux élèves, des manuels scolaires élaborés par l’État et ses partenaires se retrouvent massivement sur les étals des vendeurs ambulants et dans les marchés de Conakry. Une situation préoccupante qui prive de nombreux enfants d’un outil essentiel à leur apprentissage.
Dans les marchés de la capitale guinéenne et ailleurs dans le pays, les livres scolaires s’étalent à même le sol, dans les brouettes de vendeurs ambulants ou sur les tables de bouquinistes. Ces manuels — initialement destinés aux élèves du primaire et du secondaire — sont pourtant censés être distribués gratuitement dans les établissements publics pour faciliter l’apprentissage. Mais certains ont été détournés de leur destination d’origine, d’autres ont été reproduits à grande échelle par des contrefaits qui proposent leurs (photo)copies en vente libre dans les marchés à travers la Guinée.
Utilisés à la fois en classe et à la maison pour les devoirs, ces ouvrages — en sciences d’observation, mathématiques, lecture pour le primaire, ou encore français, physique et mathématiques pour le collège — sont pourtant absents des mains des écoliers. Dans de nombreuses écoles, les élèves assistent aux cours sans aucun document. Le tableau noir devient alors le seul support pédagogique, avec tous les risques de mémorisation d’erreurs que cela implique.
Sur les marchés, ces manuels gratuits sont revendus à des prix jugés « exorbitants » par certains parents d’élèves, en particulier ceux issus de familles modestes. M’mah Sylla, mère de quatre enfants inscrits au primaire, témoigne : « Chaque année, j’achète des livres pour mes enfants. Je dépense entre 200 000 et 300 000 francs guinéens sur une année scolaire. C’est trop cher ».
Même constat pour Hadja Zeinab Tounkara, qui a déboursé l’année dernière 150 000 francs guinéens pour ses deux enfants. Elle déplore en outre la mauvaise qualité de certains ouvrages. « Certains livres sont photocopiés. Il y a des pages illisibles. C’est très déplorable », dit-elle.
Interrogés sur la provenance de ces manuels, la plupart des vendeurs rencontrés dans le cadre de la rédaction de cet article ont préféré garder le silence. Une vendeuse, sous anonymat, confie néanmoins : « On reçoit difficilement des livres à l’heure actuelle. L’État n’en envoie plus. Ce que nous avons, ce sont les anciens stocks qu’on essaie d’écouler ».
Un autre bouquiniste, également sous couvert d’anonymat, affirme avoir tenté de dissuader certains de ses collègues de vendre ces manuels destinés aux élèves. Il dit s’opposer personnellement à cette pratique qu’il juge contraire à l’éthique.
Me Francis Charles Kpa Haba, avocat au Barreau de Guinée et mandataire agréé auprès de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), apporte plusieurs clarifications sur la question de la contrefaçon des manuels scolaires. Il explique que toute photocopie n’est pas nécessairement illégale.
Selon lui, lorsqu’un élève, un étudiant ou un chercheur réalise une copie d’un ouvrage pour un usage strictement personnel, cela ne constitue pas un acte de contrefaçon. « L’achat ou la reproduction d’un document à des fins d’étude, de révision ou de recherche n’est pas répréhensible, tant qu’il reste dans un cadre privé », précise-t-il.
En revanche, dès lors qu’une personne photocopie un ouvrage dans l’intention de le vendre ou de le diffuser de manière commerciale, elle entre dans l’illégalité. « La contrefaçon commence à partir du moment où une reproduction d’un livre est faite à grande échelle pour être vendue. C’est à ce niveau qu’il y a violation du droit d’auteur », ajoute l’avocat.
Me Haba souligne que cet acte est puni par la loi, aussi bien au niveau national qu’international. En Guinée, la législation s’appuie à la fois sur la loi nationale sur la protection du droit d’auteur et sur l’Annexe 7 de l’Accord de Bangui, qui régit la propriété intellectuelle dans plusieurs pays africains.
Les sanctions encourues sont à la fois civiles et pénales. Sur le plan civil, l’auteur ou son représentant peut exiger des dommages et intérêts, et demander la cessation immédiate de la contrefaçon. Sur le plan pénal, le contrefacteur peut être poursuivi en tant que délinquant, avec à la clé des peines de prison pouvant aller jusqu’à trois ans en cas de récidive, ainsi que des amendes et des indemnisations.
Pour prévenir ce phénomène, Me Haba insiste sur l’importance de la sensibilisation. Il estime qu’il faut expliquer aux populations que les auteurs vivent de leurs œuvres, et que leur travail mérite d’être respecté et protégé. « La protection de l’œuvre revient en premier lieu à son auteur, qui peut agir en justice. Mais s’il est affilié à un organisme comme le BGDA, celui-ci peut également engager des poursuites au nom des auteurs », précise-t-il.
Selon lui, la lutte contre la contrefaçon et le détournement de manuels scolaires passe autant par la justice que par la conscience collective : comprendre qu’un manuel scolaire n’est pas un bien sans valeur, mais une création intellectuelle qui mérite protection.
Fodé Zakaria Touré