Gratuite en théorie, payante en pratique ? La délivrance de la carte d'identité biométrique en Guinée est-elle réellement accessible à tous ? Enquête sur les obstacles et les pratiques de corruption qui persistent, malgré les annonces officielles.
La délivrance de la carte d'identité biométrique a été rendue gratuite depuis le 14 avril 2025. Par un arrêté conjoint signé par les ministères de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, des Affaires étrangères et de la Sécurité, la carte nationale d’identité biométrique est désormais délivrée gratuitement à tous les Guinéens âgés de 16 ans et plus effectuant leur première demande.
Cette initiative, qui fait suite au décret D/2025/021/PRG/CNRD/SGG du 2 février 2025, s’inscrit dans un processus de modernisation des procédures administratives et vise à garantir un accès universel à la carte d’identité biométrique. Mais malgré cette gratuité, l'obtention de cette carte reste difficile dans certaines localités. « Aucun frais, sous quelque forme que ce soit, n’est exigible par une autorité administrative, un agent public, un intermédiaire ou toute autre personne en lien avec le traitement de ces documents », indique l’arrêté.
Pourtant, certains citoyens continuent de mettre la main à la poche pour obtenir le précieux sésame, avec des sommes allant de 20 000 GNF à 50 000 GNF pour « accélérer » le processus. Un contributeur d’IdimiJam s'est intéressé à la question pour en savoir plus.
La carte d'identité biométrique demeure aujourd’hui un document incontournable pour régulariser certaines situations administratives : retrait bancaire, réactivation de carte SIM, voyage, complément de dossiers ou accès à certains lieux. Sans elle, les démarches deviennent impossibles ou difficiles à réaliser.
Dans certains commissariats de Conakry, les consignes données par le ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation sont appliquées à la lettre : dépôt de l'extrait de naissance biométrique et du certificat de résidence datant de moins de trois mois, sans aucun frais. Pour obtenir la carte d'identité biométrique, il faut se procurer un ticket indiquant une date d’enrôlement. La carte est censée être délivrée dans les 15 jours suivant l’enrôlement, mais les délais varient souvent entre deux semaines et deux mois.
« J'ai déposé mes dossiers pour la carte d'identité biométrique et je n'ai pas eu de difficultés. Après le dépôt, j'ai été programmé une semaine plus tard pour venir m'enregistrer. Deux semaines après, ils m'ont appelé pour me dire que ma carte était disponible. Je n'ai rien payé du début jusqu'à la fin », explique Abdourahmane Diallo, 25 ans.
Si ce dernier n'a rien payé, c'est parce qu'il n'a pas voulu emprunter la « seconde voie », estiment d'autres. Nous avons découvert cela après avoir entendu les plaintes de citoyens ayant vécu ces pratiques ou en ayant été témoins. « J'ai appris que la procédure normale prend du temps et j'ai appelé quelqu'un qui m'a demandé de payer 50 000 GNF pour qu'il m'aide à m'enregistrer le même jour, comme j'avais une urgence… », confie un vendeur de thé qui a souhaité garder l’anonymat.
Pour vérifier la véracité de ces informations liées à l'acquisition de la carte d'identité biométrique, nous avons contacté un intermédiaire en nous faisant passer pour un demandeur. « Si vous voulez que ce soit rapide, prenez le reçu à 320 000 GNF et dans quelques jours vous aurez votre carte. Sinon, vous devez suivre la procédure normale. Ce qui prendra plusieurs semaines », a-t-il assuré lors de notre échange téléphonique.
D'autres citoyens affirment avoir volontairement donné de « petites sommes » aux agents pour faciliter le processus, comme une marque de satisfaction. « J'ai reçu ma carte au bout de trois semaines. À chaque fois que je venais, je voyais une avancée. Donc parfois, je donnais des petites sommes, comme 10 000 GNF. Non pas parce qu'ils demandaient, mais je me faisais ce plaisir de les encourager, ne serait-ce que pour le prix d'un jus », explique Amadou Baldé.
Nos tentatives pour joindre les autorités se sont avérées infructueuses, celles-ci renvoyant la responsabilité à leur hiérarchie.
L’arrêté précise pourtant que toute tentative de collecte de frais dans le cadre de l’enrôlement ou de la délivrance de la carte d’identité sera sévèrement sanctionnée. Pour garantir l’application de cette mesure, un numéro vert a été mis en place pour signaler toute tentative de corruption ou d’extorsion de fonds.
Mais une question reste posée : les citoyens ne participent-ils pas eux-mêmes à ces pratiques en acceptant de payer pour « contourner la lenteur » administrative ?
Mohamed Diawara