Grandir sans acte de naissance : l’injustice silencieuse en Guinée et ses conséquences

Grandir sans acte de naissance : l’injustice silencieuse en Guinée et ses conséquences

En Guinée, des milliers d’enfants restent sans acte de naissance, invisibles aux yeux de l’État. Pourquoi et quelles solutions pour y remédier ?

En Guinée, des milliers d’enfants grandissent sans existence légale. Privés d’acte de naissance, ils deviennent invisibles aux yeux de l’État et sont exclus des services essentiels comme l’éducation, les soins de santé ou l’obtention de pièces d’identité. Mais au-delà, ce phénomène cache une réalité plus complexe : familles mal informées, lenteurs administratives, coûts parfois décourageants et système d’état civil souvent dépassé.

Avec l’appui de Mohamed Lamine Kanté, juriste, enseignant, formateur et conseiller juridique du Cercle des Jeunes Élites de Guinée (CJEG), nous faisons un point sur cet enjeu majeur de notre société.

Comment réintégrer ces enfants dans le système ? Et surtout, comment prévenir cette invisibilité dès la naissance ? La déclaration des naissances reste aujourd’hui un problème épineux en République de Guinée. Entre réticence et responsabilité, les acteurs concernés tentent chaque jour de mettre en place de véritables politiques publiques afin de trouver des solutions concrètes et efficaces, conformément à la politique nationale sur l’état civil et la protection des enfants.

Pourquoi tant d’enfants ne sont-ils pas déclarés à la naissance ?

La non-déclaration des enfants en Guinée s’explique en grande partie par le taux élevé d’analphabétisme et par la réticence des personnes habilitées à effectuer cette démarche, pourtant clairement désignées par la loi, notamment dans le Code civil et le Code de l’enfant.

Selon l’article 202 du Code civil, « la naissance de l'enfant est déclarée par le père ou la mère ou, à défaut, par les médecins, sages-femmes ou autres personnes qui ont assisté à l'accouchement et, lorsque la mère accouche hors de son domicile, par la personne chez qui elle a accouché. L'acte de naissance est rédigé immédiatement ».

Ces mêmes dispositions figurent à l’article 105 du Code de l’enfant. Une autre cause, souvent minimisée mais tout aussi préoccupante, réside dans la négligence des personnes habilitées, au premier rang desquelles se trouvent les parents.

Quelles sont les conséquences concrètes pour l’enfant, la famille et la société ?

Les conséquences sont nombreuses et touchent à la fois l’enfant, la famille et la société.

  • Pour l’enfant, sans identité légale, il vit mais n’existe pas aux yeux de la loi. Cette situation compromet ses droits fondamentaux, tels que l’accès à l’éducation ou aux soins de santé et bien d’autres plus tard.
  • Pour la famille, celle-ci s’expose à une amende civile de 100 000 à 500 000 FG (article 203 du Code civil) pour non-déclaration.
  • Pour la société, l’État se heurte à des difficultés dans l’application de ses politiques publiques, notamment en matière de protection de l’enfance et dans la mise en œuvre de programmes sanitaires et de développement.

Quelles démarches faut-il suivre pour obtenir un acte de naissance en Guinée ?

La procédure est clairement définie par le Code civil (articles 200 et suivants) :

  • Dans le délai légal (2 mois après la naissance, ou 3 mois si l’accouchement a eu lieu hors du périmètre communal ou à l’étranger), la déclaration se fait directement à l’état civil.
  • Hors délai, il faut engager une procédure de jugement supplétif devant le tribunal compétent, puis transcrire le jugement au registre de l’état civil pour obtenir un extrait d’acte de naissance.

Existe-t-il des solutions pour les enfants déjà « non déclarés » ?

Oui. Même après expiration du délai légal, les enfants non déclarés peuvent obtenir un acte de naissance par jugement supplétif, comme expliqué précédemment.

Quelles initiatives locales ou communautaires permettent de sensibiliser et de faciliter les déclarations ?

Plusieurs actions peuvent être mises en place :

  • Créer ou renforcer les comités de surveillance dans les hôpitaux, quartiers et villages pour recenser les naissances et les signaler à l’état civil.
  • S’inspirer de pratiques existantes, comme la déclaration des mariages dans les mosquées.
  • Renforcer la collaboration entre autorités locales, chefs religieux et acteurs de la société civile.

Quel rôle pour les autorités locales, les sages-femmes, les chefs de quartiers et les médias ?

Ils doivent :

  • Assurer une communication efficace avec les services d’état civil.
  • Mener des campagnes de sensibilisation sur l’importance de déclarer les naissances.
  • Soutenir les politiques publiques en matière d’état civil.

Qu’est-ce qui doit changer pour garantir ce droit fondamental à tous les enfants ?

Plusieurs mesures s’imposent :

  1. Intensifier les campagnes de sensibilisation pour réduire la réticence et la négligence des parents.
  2. Impliquer davantage les ministères concernés (Administration du Territoire, Action Sociale) ainsi que les partenaires internationaux.
  3. Organiser des journées portes ouvertes pour régulariser gratuitement les actes de naissance.
  4. Moderniser le système d’état civil avec des outils informatiques performants.
  5. Renforcer la protection de l’enfant, comme le prévoit l’article 26 du projet de nouvelle Constitution.

Les enfants sont l’avenir de la Guinée. Garantir leur droit à une identité légale doit être une priorité nationale pour construire une société plus juste et inclusive.

Amadou Fak Kallo