Pagne “Forêt sacrée” : entre tradition, savoir-faire et lutte contre la contrefaçon…

Pagne “Forêt sacrée” : entre tradition, savoir-faire et lutte contre la contrefaçon…

Découvrez l’histoire du pagne « Forêt sacrée », symbole culturel de la Guinée forestière, et les défis actuels entre traditions, savoir-faire et contrefaçon.

Le tissu « forêt sacrée » est bien plus qu’un simple vêtement ! Il représente un symbole profondément ancré dans l’histoire et les traditions des populations de la Guinée forestière, située au sud-est du pays. Jadis réservé aux cérémonies strictement confidentielles, notamment aux rituels sacrés, ce textile incarnait l’identité culturelle de toute une région. Aujourd’hui, il a largement dépassé les frontières guinéennes. Le tissu est désormais porté non seulement par les communautés du sud du pays, mais aussi par d’autres populations en Guinée et même ailleurs.

Pourtant, malgré cette popularité croissante, les tisseuses et vendeuses qui perpétuent ce savoir-faire ancestral sont confrontées à d’importantes difficultés. Entre contrefaçon et acculturation, l’écoulement de leurs produits devient un véritable défi. « Le tissu forêt sacrée était réservé aux grandes cérémonies d’initiation. La grande teinture foncée était exclusivement destinée aux événements majeurs, notamment pour la forêt sacrée ou pour l’excision. Lors des cérémonies, c’est ce que les initiés portaient. Souvent, il fallait sept morceaux de tissu pour un boubou. Pour certains sacrifices ou soigner certaines maladies, on te demandait de le porter. Et même pour voyager, certains le portaient sous leurs vêtements, histoire de se protéger contre les mauvaises surprises. Mais avec la démocratisation de la mode vestimentaire, le côté sacré s’est un peu perdu. Aujourd’hui, cela nous permet principalement de nous habiller. Il y a des décennie maintenant que le tissu forêt sacrée est valorisé en Guinée et tout le monde peut le porter. Au début, les gens pensaient qu’il était réservé uniquement aux habitants de la forêt, mais c’est tout le contraire aujourd’hui », explique le directeur préfectoral de la Culture, du Tourisme et de l’Hôtellerie de N’Zérékoré, Cé Paul Sandy.

Selon Manéa Jacqueline Loua, teinturière au centre d’exposition artisanale de N’Zérékoré, plusieurs matières premières entrent dans la fabrication du tissu. « Pour fabriquer certains tissus, on achète les matériaux au marché. D’autres sont produits grâce à la noix de cola, à l’eau et aux écorces de certains arbres ou plantes de la forêt. La boue du bas-fond fait aussi partie du processus. La couleur noire présente sur le tissu, c’est la boue », précise-t-elle.

Mais pour les vendeuses de ce textile identitaire, la situation devient de plus en plus difficile, notamment à cause de la prolifération de la contrefaçon. Les copies industrielles, souvent importées de l’Asie, inondent le marché à des prix défiant toute concurrence.

« Nous sommes vendeuses, mais nous fabriquons aussi ce tissu. Pendant la saison des pluies, c’est très difficile car il y a rarement des clients. La contrefaçon, surtout en provenance de Chine, fait aussi que certains clients n’achètent plus chez nous. Le vrai tissu forêt sacrée, nous vendons les deux pagnes à 80 000 francs guinéens, tandis que les tissus des Chinois, les deux pagnes peuvent être proposés à plus de 50% moins chers. Ainsi, les clients choisissent le moins cher. Pourtant, ce tissu représente notre tradition, la culture de la Guinée forestière. Nous demandons aux autorités de nous aider à stopper la contrefaçon sur le marché guinéen », plaide Léontine Loua, présidente des vendeuses du tissu forêt sacrée à la gare Ona de N’Zérékoré.

Le directeur préfectoral de la Culture, du Tourisme et de l’Hôtellerie de N’Zérékoré reconnaît l’ampleur du problème. « Ce métier est aujourd’hui confronté à un phénomène grave. La contrefaçon du pagne forêt sacrée et d’autres tissus tue réellement le savoir-faire local. Les imprimeries modernes produisent du faux forêt sacrée à bas prix. Or, l’authenticité reste ce que recherchent les gens. Les touristes qui viennent à N’Zérékoré ne veulent pas de contrefaçon, mais de l’authentique. Actuellement, des acteurs travaillent sur la fixation de la teinture du tissu forêt sacrée afin de le rendre plus résistant. Comme ce pagne était réservé aux grands événements, il déteint vite au lavage. Des études sont menées à Conakry pour stabiliser durablement la couleur », assure Cé Paul Sandy.

Selon le directeur, la lutte contre la contrefaçon est déjà engagée. « Cette lutte demande un travail de fond. Il faut agir en amont. Lorsque vous allez sur le marché pour sensibiliser, l’implication du ministère du Commerce et même de tous les acteurs est nécessaire. Nous devons appuyer le cadre réglementaire et voir comment empêcher l’importation de ces copies. Une fois stoppées à la frontière, on ne pourra plus les vendre sur le marché local », insiste Cé Paul Sandy.

Mais pour l’heure, la contrefaçon continue de se propager, y compris dans les marchés de la Guinée forestière. Reste à savoir quand les actions engagées par les autorités et les acteurs de la filière permettront de préserver durablement ce patrimoine culturel.

Gilbert Tinguiano