Bandjan Sidimé, l’architecte de la Mamaya et son héritage indélébile à Kankan

Bandjan Sidimé, l’architecte de la Mamaya et son héritage indélébile à Kankan

Découvrez l’héritage de Bandjan Sidimé, figure clé de la Mamaya à Kankan, dont le leadership et la vision ont marqué durablement la culture mandingue.

Si la Mamaya – danse traditionnelle mandingue – est aujourd’hui un symbole vivant de la culture en Haute-Guinée, son émergence spectaculaire à Kankan, notamment son acceptation par les autorités coloniales françaises en 1945, doit beaucoup à un homme : Bandjan Sidimé. Décédé prématurément à 35 ans, cette figure emblématique fut, selon Mohamed Lamine Kaba « Ringo », le président de la coordination des Sèdè (groupe d’âge organisateur de la Mamaya), « un grand mobilisateur et un organisateur émérite [qui était] adulé par tous ».

Les témoignages et archives dressent le portrait d’un homme bien plus qu’un organisateur. Bandjan Sidimé était un sculpteur talentueux. Un métier qu’il exerçait sous l’époque coloniale. Ce qui lui a valu une certaine proximité avec l’administration française d’alors. Il était également très populaire auprès des jeunes. Cela lui a permis de jouer un rôle décisif dans l'organisation et la promotion de la Mamaya à Kankan et dans tout le Batè. 

« Bandjan Sidimé est né en 1910 et mort en 1945, à l’âge de 35 ans. Il a connu tous les honneurs dignes d’un homme sage. Il était artiste sculpteur, mais il n’était ni le créateur de la Mamaya, comme certains le croient, ni le chef de son groupe d’âge (Sèdè) Sandiaya. Il était surtout un grand organisateur, aimé de tous. À l’époque, l’ampleur festive de la Mamaya déplaisait aux sages en raison du poids de la religion. Pourtant, avant même son acceptation par la notabilité, Bandjan était déjà une figure très respectée parmi les jeunes. Son groupe d’âge a été le premier à initier la Mamaya à Kankan. Et comme il était très populaire, tout le monde voulait danser avec lui ou appartenir à son groupe », explique Ringo.

Mohamed Lamine Kaba « Ringo »Mohamed Lamine Kaba « Ringo »

L’un des aspects les plus fascinants soulignés par ce dernier est la manière dont Bandjan Sidimé a su rapprocher la Mamaya des colons français. Sa renommée auprès d’eux aurait joué un rôle décisif dans l’acceptation de cette danse, lui conférant une légitimité qui a largement contribué à sa propagation. « En 1945, au moment de son implantation, il y avait des résistances. La notabilité locale avait donné son accord, mais le commandant colonial restait réticent, en raison du contexte de guerre mondiale. Organiser des réjouissances dans un tel climat paraissait déplacé. Mais Bandjan, très apprécié tant par les siens que par les colons – qui admiraient ses œuvres – a su faire le lien. On raconte qu’un jour, les colons, hostiles, sont venus avec des gardes pour empêcher la Mamaya. Bandjan les a alors convaincus, allant jusqu’à inviter leur commandant à danser avec eux. Pour lui, la guerre ailleurs ne devait pas empêcher la joie ici. Il voulait offrir aux siens une parenthèse d’espoir. C’était un homme de paix et de dialogue. Sa notoriété est née de ce leadership hors pair », détaille notre interlocuteur.

La Mamaya, dont les racines s’étendent entre le Mali et la Guinée, est arrivée à Kankan vers 1936-1937. Mais, c’est sous l’impulsion de Bandjan Sidimé et d’autres figures locales qu’elle a réellement pris son envol, avec la bénédiction des sages. « À l’origine, on ne parlait pas de Mamaya. Le nom vient plus tard. C’était le “Bondon”, une danse venue de Bamako grâce à des jeunes comme Laye Sékou Bayo, Laye Frantoma Camara ou Saran Karamo. Au départ, la notabilité s’y opposait pour des raisons religieuses. Alors, des facilitateurs sont intervenus pour plaider leur cause. Parmi eux, El Hadj Dandjo Issoufou, qui a dit au chef de canton : “Si vous leur interdisez de se réjouir, ils iront le faire en cachette, dans des conditions que vous ne pourrez pas contrôler.” Il a proposé qu’on les encadre au lieu de les interdire. Les sages ont alors posé trois principes : respecter les horaires de prière – la Mamaya ne commence jamais avant celle de 16h – ; porter des tenues décentes ; et séparer hommes et femmes pendant la danse, les hommes formant un cercle protecteur autour des femmes. Ces règles sont toujours respectées aujourd’hui », souligne un doyen interrogé dans le cadre de la rédaction de cet article.

Au-delà de son groupe d’âge, Bandjan Sidimé était courtisé par les quatre autres Sèdès de Kankan : Hermakonoya, Doudiaya, Diamanadiaya et Dandiaya. « Puisque son Sèdè avait brillamment lancé la Mamaya, tous les autres voulaient profiter de son expertise. On le sollicitait de toutes parts pour encadrer les festivités », précise Ringo. 

Ibrahima Cissé, plus connu sous le nom de Sorel Bolokada, journaliste et directeur de la Radio Rurale de Kankan, confirme l’impact de Bandjan Sidimé dans la structuration de la Mamaya à Kankan. « Bandjan était un jeune de Salamani, très beau, très aimé et extrêmement populaire. Quand la Mamaya est arrivée du Mali via Siguiri, lui, il était déjà au sommet de sa popularité. Il a formé un groupe qui s’est approprié la danse et l’a popularisée dans toute la ville, jusqu’à ce qu’elle atteigne la grande place de Cherifoula, près de la grande mosquée de Kankan », explique-t-il.

Ce déplacement géographique traduit, selon lui, l'influence que Bandjan avait dans la ville.

Mais à cette époque, l’opposition des sages était tenace. Deux griefs étaient avancés : la mixité entre hommes et femmes et le non-respect des heures de prière, puisque la Mamaya débutait souvent vers 16h, avant donc la prière. « Bandjan, avec l’aide d’un ancien du nom de Sarata Mory, a entamé une médiation difficile avec les sages. Finalement, les deux parties ont trouvé un compromis », confirme le journaliste.

Pour Sorel Bolokada, même s’il n’en est pas l’initiateur, Bandjan Sidimé fut « l’un des plus grands promoteurs de la Mamaya ». Notre interlocuteur révèle avec émotion que Bandjan Sidimé « est mort très jeune, dans un conflit entre jeunes. Sa popularité, notamment auprès des femmes, suscitait des jalousies… », sans rentrer plus en détail. 

La disparition de Bandjan Sidimé, survenue à la veille du ramadan de 1945, fut un choc pour la communauté. En hommage, les jeunes et les griots lui ont dédié un chant, encore repris dans presque toutes les chansons de la Mamaya. Il célèbre sa générosité et son rôle de fédérateur de la jeunesse de Nabaya.

Désormais, la Mamaya rassemble chaque année des milliers de personnes à Kankan, lors de la fête de la Tabaski. Érigée en patrimoine culturel national, elle est devenue un puissant vecteur de cohésion sociale et de transmission identitaire. 

L’histoire de Bandjan Sidimé est l’illustration éclatante de celle d’un homme dont la passion et l’engagement ont marqué à jamais la mémoire collective.

Djeneba Diakité