Kankan : les promoteurs du N’ko face aux défis de la transmission

Kankan : les promoteurs du N’ko face aux défis de la transmission

Découvrez comment l’écriture N’ko, créée par Solomana Kanté, fait face aux défis de transmission à Kankan et devient un symbole d’identité culturelle africaine.

*Image: © Capture d’écran. Droit Libre TV / YouTube

Créé en 1949 par le Guinéen Solomana Kanté alors qu’il vivait en Côte d’Ivoire, l’alphabet N’ko compte vingt-sept lettres permettant de transcrire les langues mandingues telles que le maninka, le bambara ou le dioula. Plus d’un demi-siècle après sa mise au point par cet intellectuel originaire de Soumankoi, dans la commune rurale de Karfamoriah à Kankan, l’écriture ne rivalise pas avec les langues étrangères dominantes comme le français ou l’anglais. Mais les héritiers de M. Kanté et les promoteurs poursuivent son combat pour assurer la transmission et l’émancipation du N’ko.

Dans la famille du fondateur, la modestie des lieux contraste avec l’importance de l’héritage laissé. Rien ne signale au visiteur qu’il s’agit du domicile d’une figure scientifique majeure du pays. L’un des fils de l’inventeur, rencontré dans la maison familiale à Kankan, regrette que l’État et les institutions nationales chargées de la culture aient « oublié la famille du célèbre Solomana Kanté ». Ses deux veuves, aujourd’hui âgées de 93 et 75 ans, ainsi que plusieurs de ses enfants, y vivent encore.

Une écriture née d’une “humiliation”

Alpha Amadou Kanté, l’un des fils de Solomana Kanté, raconte l’élément déclencheur de la création du N’ko. « Un jour, en Côte d’Ivoire, mon père a vu dans un livre libanais que les Noirs n’ont pas d’écriture. Il s’est senti insulté. C’est ce choc qui l’a poussé à se lancer dans la création d’une écriture mandingue », relate-t-il. Selon l’inventeur, les langues étrangères, notamment le français et l’anglais, ne rendaient pas fidèlement les sons du maninka. « Le 14 avril 1949, le N’ko est enfin venu. À la différence des autres systèmes, il permet d’écrire avec les accents de la langue maninka », explique-t-il.

À Kankan, les centres d’apprentissage de l’écriture N’ko se multiplient. Bassabaty Sidibé, président de la coordination N’ko Semba, encadre plus de 120 apprenants répartis dans cinq salles. Il observe un intérêt croissant des jeunes, notamment grâce aux technologies. « Beaucoup de nos jeunes s’y intéressent. Certains suivent des cours en présentiel, d’autres apprennent à travers des applications », explique-t-il.

Après des années de plaidoyer, l’écriture N’ko est désormais intégrée dans certains ordinateurs et téléphones portables. Des centres de formation dédiés existent en Guinée, au Mali et dans d’autres pays. Des travaux sont même en cours autour de l’intelligence artificielle appliquée au N’ko. « Le traducteur automatique N’ko permet déjà d’échanger et d’obtenir des traductions en chinois, en anglais et dans d’autres langues », précise Bassabaty Sidibé.

Un marqueur d’identité africaine

Pour les défenseurs du N’ko, cet alphabet constitue un symbole majeur de la fierté africaine. « Le N’ko est une manière de nous identifier. C’est une valeur commune à quatre langues africaines et il appartient à toute l’Afrique », affirme Sidibé, appelant les Africains à préserver ce patrimoine. « Celui qui n’a pas de culture n’a pas de valeur. Faisons du N’ko notre culture », insiste le président de la coordination N’ko Semba.

Bien que l’écriture N’ko ait franchi les frontières, allant jusqu’en Russie ou à l’université Harvard, les membres de la famille de son inventeur affirment disposer de moyens limités. Pour Alpha Amadou Kanté, un appui plus structuré permettrait de mieux accompagner la dynamique actuelle autour du N’ko. « Nous n’avons pas les ressources nécessaires pour contribuer pleinement à la promotion du N’ko. Il serait souhaitable que les institutions et les personnes engagées dans son enseignement collaborent davantage avec la famille », estime-t-il, précisant que « Le N’ko n’est pas une religion », allusion à la polémique alimentée par le prédicateur Ismael Nanfo Diaby dont les prières en maninka ont suscité de vives réactions ces dernières années en Guinée, particulièrement dans la région de Kankan.

Michel Yaradouno