La ville de Kankan s’apprête à accueillir la 85ᵉ édition de la Mamaya, une danse traditionnelle à la croisée des cultures et des générations.
Dans quelques semaines, la ville de Kankan vibrera au rythme de la Mamaya, une danse emblématique dont les origines viennent du Mali, mais qui s’est enracinée avec force dans la capitale de la Haute-Guinée. Organisée chaque année au lendemain de la Tabaski, la Mamaya attire des milliers de participants venus des quatre coins de la Guinée et de la diaspora. L’édition 2025, attendue avec ferveur, s’annonce une nouvelle fois comme un temps fort de rassemblement, de transmission culturelle et d’engagement communautaire.
Pour retracer l’histoire de la Mamaya à Kankan, nous sommes allé à la rencontre de Mohamed Lamine Kaba, connu sous le surnom de “Ringo”, responsable des « Sèrès » auprès des sages de Kankan. « La Mamaya est une danse originaire du Mali, introduite en Guinée dans les années 1930 par des commerçants », explique-t-il. « À l’époque, on l’appelait ‘Gbondon’. Ce sont nos frères qui faisaient le commerce entre Kankan et Bamako qui ont été séduits par cette danse. La dénomination ‘Mamaya’ est propre à Kankan, mais la danse elle-même vient d’ailleurs », ajoute notre interlocuteur.
Codifiée avec rigueur, la Mamaya repose sur des couleurs symboliques. « Le blanc et le bleu sont obligatoires, la troisième couleur est choisie par la génération qui organise. Elle ne se danse pas à toute heure ni avec n’importe quelle tenue. Les sages et les colons étaient au départ réticents à son organisation. C’est Bandjan Sidibé, agent de commerce à l’époque coloniale, qui a joué un rôle d’intermédiaire pour obtenir son autorisation, à condition de respecter les horaires de prière », rappelle “Ringo”.

Aujourd’hui, cette danse est reconnue comme patrimoine culturel national. Mais les ambitions vont plus loin. « Nous souhaitons désormais qu’elle soit inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO », plaide Mohamed Lamine Kaba.
Une diaspora mobilisée pour le développement local
Au-delà de l’aspect culturel, la Mamaya est devenue un levier de développement. Depuis plusieurs années, les ressortissants de la région, notamment ceux vivant à l’étranger dont la France, se mobilisent pour financer des projets communautaires à Kankan. « Nous faisons des contributions internes, et lorsque nous sommes sur place, nous remettons l’argent à la génération organisatrice pour soutenir les projets planifiés », explique Aminata Kaba, membre d’un comité de collecte basé en France depuis 2015.

Et d’ajouter : « Grâce à ces fonds, nous avons pu réaliser plusieurs infrastructures : la morgue de l’hôpital régional, le cimetière de Madina, l’achat de médicaments pour les centres de santé, des lits d’hospitalisation, une bibliothèque pour la grande mosquée, des forages… ».
Une vitrine pour les artistes guinéens
La Mamaya est aussi un tremplin pour les artistes, en particulier ceux issus de la diaspora. Mama Diabaté, célèbre cantatrice résidant en France, témoigne de l’impact de cette fête sur sa carrière. « On a vu cela avec nos grands-parents, et chaque année, nous prions pour avoir les moyens d’y participer. C’est notre fierté. Grâce à cette musique, j’ai voyagé dans de nombreux pays européens », confie-t-elle avec émotion, lors de la dernière édition tenue au stade M’Ballou Mady Diakité, où se tient l’évènement.
Une ouverture vers les autres régions
Depuis deux ans, c’est le Sèrè Dandiya N°4 qui assure l’organisation de l’événement. Afin de promouvoir le vivre-ensemble, chaque édition met à l’honneur une région de Guinée. Après la Forêt et la Moyenne-Guinée, c’est la Basse-Guinée qui est invitée cette année.
Pour Lamine Toutè Kaba, chargé de communication du Sèrè Dandiya N°4, cette démarche favorise la cohésion nationale. « C’est une manière de diversifier la culture guinéenne. Avant, la Mamaya était perçue comme une exclusivité de Kankan. Aujourd’hui, nous voulons changer cette perception. Lorsqu’en 2023, nous avons invité la Moyenne-Guinée, cela a favorisé une large participation des Peuls. Même ceux qui étaient réticents ont fini par comprendre que cette fête est une opportunité de nous unir ».
Une infrastructure attendue… mais au point mort
Initialement prévue pour accueillir l’événement, la nouvelle arène de la Mamaya, située au quartier Aéroport, reste inachevée. Les travaux sont à l’arrêt depuis plusieurs mois, sans explication officielle. En attendant, c’est le stade M’Ballou Mady Diakité qui accueillera à nouveau la cérémonie. A cette occasion, des citoyens de la ville espèrent la présence du président de la transition, le général Mamadi Doumbouya, originaire de la ville de Kankan.
Plus qu’un simple héritage, la Mamaya de Kankan est aujourd’hui un symbole de résilience, d’unité et d’ambition pour la ville et au-delà. Alors que les préparatifs battent leur plein et que les ateliers de couture tournent à plein régime, les regards sont tournés vers cette célébration qui, année après année, continue de conjuguer mémoire, fierté et développement.
Michel Kossa