Kankan : l’école de Dabadou, une ancienne pépinière de cadres, sombre dans l’oubli

Kankan : l’école de Dabadou, une ancienne pépinière de cadres, sombre dans l’oubli

Située à six kilomètres du centre-ville de Kankan, l’École normale élémentaire de Dabadou fut, sous la Première République, un haut lieu de formation de l’élite guinéenne. Plusieurs décennies plus tard, le site est à l’abandon, au grand désarroi des populations locales.

Dans la mémoire collective de nombreux Guinéens, l’École normale élémentaire de Dabadou évoque une époque où l’éducation était au cœur du projet de construction nationale. Ce centre de formation, devenu plus tard École supérieure, puis École normale d’instituteurs (ENI), a vu passer de grandes figures de l’administration publique postcoloniale. Parmi elles, Elhadj Boubacar Biro Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale, qui reste l’un des symboles les plus marquants de l’établissement. D’autres hauts fonctionnaires, enseignants et journalistes y ont également été formés sous le régime du président Sékou Touré.

Un site abandonné, des souvenirs amers

Aujourd’hui, le constat est amer : ses bâtiments sont en ruine ! Les toitures effondrées, les murs fissurés et les anciennes salles de classe datant de l’époque coloniale envahies par la végétation. Ce site historique a été rétrocédé à la cathédrale Notre-Dame des Victoires et de la Paix de Kankan, qui tente tant bien que mal de le préserver. Une chapelle, une école primaire et quelques familles occupent désormais les lieux.

Karfalla Sidibé

Karfalla Sidibé

 

Pour les anciens du village, la dégradation du site représente bien plus qu’une perte matérielle : c’est un pan de leur histoire qui disparaît. Karfalla Sidibé, l’un des sages de Dabadou, évoque avec émotion l’impact de l’école sur le développement local. « Nous regrettons énormément la fermeture de cette école. C’est de là que provenaient nos revenus. Aujourd’hui, la précarité est visible partout. Je suis fier d’être originaire de Dabadou (...) Ce village symbolisait la réussite », dit-il en évoquant le passé. 

Une école au cœur du développement local

Alama Kéita

Alama Kéita

 

Sous la Première République, la présence de l’école avait des retombées positives sur toute la localité. Alama Kéita, mère de famille, se souvient : « Quand l’école fonctionnait, on souffrait moins. Nos enfants mangeaient sur place. Les médicaments envoyés pour les étudiants étaient aussi partagés avec les villageois. Aujourd’hui, même si nous avons un poste de santé, ce n’est plus pareil ».

Cette fermeture a laissé un vide difficile à combler, tant sur le plan économique que social. De nombreux habitants espèrent un jour voir renaître cet établissement, pour raviver la vie locale et redonner une chance aux jeunes générations.

Un modèle de cohabitation religieuse

Au-delà de son rôle éducatif, Dabadou est aujourd’hui un symbole de cohésion religieuse. Le village abrite une mosquée et une chapelle catholique, où musulmans et chrétiens prient côte à côte. Balla Sidibé, habitant du village, en témoigne : « Nous sommes un modèle de coexistence. Récemment, un jeune du village a été ordonné prêtre, et tout le monde, musulmans comme chrétiens, a participé à la cérémonie ».

Une mémoire à préserver

Des vestiges de l’époque coloniale sont encore visibles sur le site. Mais sans intervention, ils risquent de disparaître à jamais. L’église catholique, actuelle gestionnaire des lieux, tente d’entretenir la mémoire du site à travers des activités religieuses et éducatives. Pour Emmanuel Tamba Kallas Tolno, responsable de la jeunesse paroissiale, « Dabadou était un lieu d’apprentissage important. Aujourd’hui, c’est un lieu de prière et de méditation ».

Même si le site est désormais propriété de l’Église, certains habitants de Dabadou espèrent que des efforts conjoints pourront être engagés pour redonner à leur village son prestige d’antan.

 

Michel Yaradouno