Déchets à Conakry : la difficile bataille des communes pour une ville propre…
Conakry fait face à une crise de gestion des déchets. Manque de camions, incivisme et absence de politique claire freinent les communes
Conakry fait face à une crise de gestion des déchets. Manque de camions, incivisme et absence de politique claire freinent les communes
Depuis l'installation des délégations spéciales en Guinée en septembre 2024, la gestion des ordures a été confiée aux différentes communes. Dans la capitale Conakry, cette mesure peine à produire des résultats concrets sur le terrain, malgré les efforts fournis par chaque circonscription communale. Le manque de politique claire en matière de gestion des déchets et le déficit criant de camions de ramassage constituent un sérieux problème. Ces difficultés engendrent de multiples conséquences dans les quartiers.
Les PME qui collectent les ordures dans les ménages abonnés rencontrent des difficultés à transporter les déchets, en raison du remplissage des bacs à ordures installés par les communes. Les plaintes incessantes de la population ne cessent de croître. Pendant ce temps, les ordures jonchent certaines rues, attendant d’être dégagées par les autorités qui peinent à mobiliser les moyens logistiques et financiers nécessaires pour y faire face.
En cette période hivernale, nous avons fait un tour de la capitale Conakry pour nous enquérir des réalités sur le terrain. Depuis que le groupe Albayrak ne gère plus les ordures, le contrôle de la situation semble échapper aux communes, pourtant chargées de cette mission depuis un certain temps. Le long de l'autoroute Fidel Castro, de la route Le Prince ou de la corniche nord, les ordures s’amoncellent aux points de collecte, avec des bacs souvent débordants.
À quelques rares endroits, notamment aux abords des marchés, on aperçoit des camions portant les inscriptions « Ratoma Commune propre », « Commune de Matoto », « Commune de Kagbelen » ou encore « Commune de Sonfonia », avec des agents en gilet en train de charger les ordures, souvent aidés d’une grue. Une logistique présente, mais insuffisante face à l’ampleur des déchets et à l’immensité des zones à nettoyer quotidiennement.
À Ansoumania Plateau, dans la commune de Kagbelen, un tas d’ordures encombrait un lieu de collecte, non loin du centre émetteur. Le bac à ordures étant rempli, les citoyens venaient jeter des déchets ménagers un peu partout autour. Envahie par les odeurs nauséabondes, la baraque installée non loin pour le tri des ordures a fini par être démantelée. La boue, les débris provenant des ordures et les odeurs pestilentielles ont envahi les alentours. Cela a suscité la colère des jeunes du quartier, qui ont exprimé leur ras-le-bol avant que ces ordures ne soient finalement enlevées.
Interrogé, un agent d’une PME rencontrée, chargé de la collecte des ordures dans les ménages, nous a confié ce qui freine leur activité ces derniers temps. « Avant, dès que le bac à ordures installé dans le quartier était plein, le camion venait aussitôt le vider. Mais depuis quelque temps, ce n’est plus le cas. Quand on transporte les ordures dans nos tricycles et qu’il n’y a plus de place pour les déverser, on est obligés d’attendre que le bac soit vidé. Et pour chaque tour, nous payons 10 000 GNF. Plus nous tardons, plus les abonnés se plaignent de l’accumulation des déchets. Parfois, on trouve une alternative en envoyant les ordures à Sonfonia, mais là-bas, le dépôt coûte 15 000 GNF. Si la situation perdure, nous perdons beaucoup de clients qui refusent de payer. Les chauffeurs nous disent parfois qu’il n’y a pas de carburant. Le dernier a été renvoyé pour vol de carburant, et le nouveau ne connaît pas encore bien tous les quartiers. Et vous savez, la patience des jeunes a ses limites », indique-t-il.
Pour mieux comprendre la situation, nous nous sommes rendus auprès de certains ménages confrontés à l’accumulation de déchets. Nombreux sont ceux qui, pour pallier aux retards des PME de collecte, brûlent ce qui est inflammable et laissent le reste, comme le riz, à la portée des animaux domestiques. D’autres préfèrent aller jeter quotidiennement les quelques ordures qu’ils produisent. « Maintenant, chaque jour où je dois aller à l’école, je prends le peu d’ordures accumulé la veille et je le jette dans les bacs installés en bordure de route. Ma voisine fait la même chose. Comme son mari est chauffeur, chaque matin, il les met dans sa voiture pour les jeter à la poubelle », indique une dame mariée.
Plusieurs femmes nous ont rapporté que certains agents de PME leur ont récemment annoncé la suspension temporaire de leur contrat de collecte des ordures ménagères, faute de site adéquat pour le dépôt des déchets. Certains conseillers communaux en charge des questions d’assainissement, bien que sollicités, n’ont pas donné une suite favorable à notre demande d’interview.
À Sonfonia, par exemple, un groupe de femmes balayeuses est régulièrement à l’œuvre autour de certains marchés de la commune. Leur travail contribue à maintenir un minimum de propreté dans ces espaces publics.
Par ailleurs, des messages de sensibilisation sont diffusés sur les réseaux sociaux afin d'encourager la population à adopter de bons comportements en matière de gestion des déchets. L’un de ces messages dit : « L’accumulation des déchets dans les caniveaux cause des inondations, propage des maladies et dégrade notre cadre de vie. Déchets dehors, dangers dedans. Ne jetons plus nos ordures n’importe où ! Utilisons les points de collecte. Gardons les caniveaux propres. Sensibilisons autour de nous. Notre commune, notre responsabilité ! Agissons ensemble pour une Sonfonia propre et saine ! ».
Un observateur ivoirien rencontré nous confie que, dans son pays, la Côte d’Ivoire, les maires ont une véritable politique locale de gestion des ordures. Les mairies rivalisent d’initiatives pour devenir les communes les plus propres. « De la même manière que les Ivoiriens exigent du président Alassane Ouattara une amélioration des conditions de vie, les habitants des quartiers exigent des élus locaux qu’ils développent les communes. Les mairies financent même des compétitions entre jeunes représentants leurs quartiers à l’échelle nationale », explique-t-il.
Face à cette situation, l’ONG Jeunesse Active de Guinée (JAG), lors d’une déclaration de plaidoyer tenue le vendredi 11 juillet 2025, a lancé un appel à la création d’un ministère de l’Assainissement et du Cadre de vie. « Nous appelons humblement à créer un ministère de l’Assainissement et du Cadre de vie, chargé exclusivement de définir une politique nationale d’assainissement, de coordonner les services de salubrité, de gérer les déchets solides, liquides et biomédicaux, et de mobiliser la population autour des enjeux liés à l’assainissement », a déclaré Ismaël Baldé, Directeur exécutif.
L’ONG s’appuie sur des données de l’UNICEF, qui précisent que plus de 60 % des Guinéens n’ont pas accès à un assainissement amélioré, et que la capitale Conakry produit plus de 1 000 tonnes de déchets solides par jour, dont moins de 40 % sont effectivement collectées. Ce déficit est dû à l’absence d’une structure institutionnelle dédiée. « L’un des domaines les plus critiques pour la dignité humaine ne bénéficie toujours pas d’un ministère spécifique à ce jour », souligne-t-il.
La lutte perpétuelle contre les ordures se heurte à de nombreux obstacles. La saison des pluies complique davantage les choses, tandis que l’incivisme de certains citoyens, qui jettent les déchets dans les rues, accentue le désordre. Les campagnes mensuelles d’assainissement, organisées chaque dernier samedi du mois, n’ont pas eu les effets escomptés, d’où la persistance de ce fléau au quotidien.
Mohamed Diawara