La gestion des déchets constitue un véritable problème de santé publique en Guinée, particulièrement dans la région de Conakry. Dans la capitale guinéenne, les citoyens cohabitent souvent avec les ordures dans les quartiers, les marchés, ou même sur les voies publiques. Pour répondre à cette problématique, l’Etat guinéen a emménagé des zones de transit et de tri dans plusieurs endroits à travers la ville, mais l’absence d’une décharge appropriée et les difficultés dans leur gestion freinent leur efficacité. Ces différents problèmes exposent les populations à de nombreuses conséquences, tant sur le plan sanitaire que environnemental.
Pour les communautés, les autorités, les acteurs impliqués ou même la société civile, le débat se pose non seulement quant aux responsabilités, mais également sur les bonnes pratiques à adopter pour réussir cette gestion en alliant santé et sécurité des citoyens.
Les habitants de Conakry produisent en moyenne par jour entre 0.4 et 0.75kg, selon une enquête du Programme des Nations-Unis pour le développement (PNUD) Guinée. « Considérant, selon l’INS, que le nombre de personnes par ménage à Conakry est de 5,1 en moyenne, il en résulte que chaque ménage produit entre 2,04 et 3,82 kg de déchets par jour », poursuit l’enquête. Mais où se retrouvent souvent ces déchets ? Parfois dans les caniveaux, sur les parterres et les grandes artères, ou encore dans la mer et les cours d'eau avec lesquels les populations cohabitent. Et ce, malgré les efforts des autorités et organisation de la société civile.
L’Agence de promotion des investissements privés (APIP) indique d’ailleurs que « 80% des ménages [guinéens] jettent leurs ordures dans la nature, cette proportion atteint 53,6% en milieu urbain ». Ce qui inquiète les partenaires et les acteurs intervenants dans le domaine, mais également les ONG et la population elle-même. Car au-delà de la mauvaise image du pays que ça renvoie, la situation pose un problème sanitaire et environnemental.

ZTT de Fossidet
Dans la commune de Ratoma qui est une des plus grandes de Conakry, par exemple, de nombreuses PME existent pour faciliter la collecte et le transport des déchets. Mais la zone n’est pas épargnée par l’insalubrité. Entre manque d’abonnement aux PME et multiplication des bennes à ordures aux abords des routes, les acteurs de l’assainissement peinent à s’en sortir. « Avant qu’on ne dépose les poubelles le long de la route, j’avais plus de 1 000 abonnés dans le quartier de Ratoma Centre. Mais après le dépôt des bacs à ordures, en l’espace d’une semaine, j’ai perdu 177 clients. Ça m’a coûté deux millions et quelques de francs guinéens. Sans ces bacs à ordures, le taux d’abonnement aurait augmenté ainsi que mon chiffre d’affaires. J’aurais créé d’autres emplois au fur et à mesure et on n’aurait pas retrouvé des ordures le long de la route et dans les caniveaux, jusqu’au bord de la mer », estime Mamadou Pathé Bah, co-gestionnaire de la ZTT de Kakimbo depuis 2022, et gérant d’une PME de ramassage des ordures dans le quartier de Ratoma Centre.
Mais les difficultés ne se limitent pas là. Dans certaines ZTT, l’enlèvement des ordures prend du temps, ce qui ne favorise pas le travail des PME ni des trieurs de la ZTT. « Avant, on chargeait les conteneurs 3 fois par jour (à 8H, à midi et à 15H), même s’il y avait un seul bac qui était plein. Mais actuellement, ce n’est pas le cas. Là, ça fait deux semaines que ce conteneur est là (plein d’ordures) sans être vidé. Parce qu’il y a les rails du bas qui sont gâtés, et jusque-là, ils ne sont pas venus les changer. Ceci va non seulement impacter les activités des PME sur le terrain, mais aussi la ZTT », ajoute le gestionnaire.
Une situation que reconnaissent les autorités de l'Agence nationale de l’assainissement et de la salubrité publique (ANASP). Ainsi, pour pallier cette question, le directeur général de l’agence a pris une note de service de réaffectation des agents de régulation auprès des collectivités locales en janvier dernier. « L'ANASP a déployé auprès des 13 communes de Conakry des agents expérimentés pour aider ces collectivités à faire une bonne planification de la logistique, pour appuyer et aider à résoudre cette question persistante », nous a confié Souleymane Traoré, assistant technique du directeur général de l'agence.
L'autre moyen de résoudre cette problématique selon l'ANASP, c’est la construction d'un centre d'enfouissement technique (CET), à travers un projet en cours.
Manque de protection des agents de pré-collecte

Équipe de gestion ZTT de Kakimbo
Cependant, au-delà de la problématique liée à la gestion des déchets, le véritable enjeu reste celui de la santé, tant pour les populations que pour les acteurs intervenant tout au long de la chaîne. Les éboueurs, qui assurent la pré-collecte des ordures dans les quartiers, sont souvent insuffisamment protégés. En saison sèche, leur équipement se limite généralement à des chemises à manches longues, des masques, des gants et des pantalons. En saison des pluies, des bottes leur sont parfois fournies, accompagnées de chlore et d’autres produits pour prévenir les risques de maladies ou d’infections. « Nous leur offrons parfois du lait, du savon… Et ici, au sein de la ZTT de Kakimbo, nous avons aménagé une toilette où ils peuvent se laver. Après leur toilette, ils utilisent de l’eau de javel pour se désinfecter », précise Mamadou Pathé Bah.
À la ZTT de Fossidet, les trieurs et autres travailleurs du centre sont désormais équipés d’équipements de protection individuelle (EPI). « À notre arrivée ici, il faut reconnaître que les gens ne se protégeaient pas. Nous avons donc insisté pour que les PME soient équipées correctement. Lorsque les éboueurs arrivent, nous exigeons qu’ils portent des chemises à manches longues, des casques, des masques, des bottes, etc. Au sein de la ZTT, nous investissons dans l’achat d’EPI. Ils disposent de casques, de gants et de masques pour garantir leur sécurité. Chez nous, la santé des employés est une priorité. Nous leur offrons une couverture sanitaire et envoyons régulièrement un médecin sur place pour administrer des injections préventives », explique Thierno Ibrahima Diallo, responsable du département déchets solides de la société LVG Smart et gestionnaire de la ZTT de Yattaya Fossidet depuis juin 2020.

Équipe de gestion ZTT de Fossidet
Mais avec tout ce dispositif, quelle sécurité sanitaire pour les populations ?
De nombreuses mesures sont certes prises, mais pour les citoyens, notamment les riverains de la principale décharge de Conakry, ces actions laissent à désirer. L’enquête d’Afrobarometer poursuit d’ailleurs en indiquant que 52% des Guinéens tiennent le gouvernement comme premier responsable pour la réduction de la pollution et la propreté dans le pays. En effet, la décharge de la Minière, communément appelée Comboss, représente un danger à ciel ouvert pour ses riverains. Entre amas d’immondices, fumée en saison sèche, et inondations d’ordures avec son lot d’eau usée, les riverains ne savent plus à quel saint se vouer.
Ismaël est riverain de la décharge depuis 13 ans. « J'ai eu un problème de santé lié à cette proximité avec les déchets. De toute ma vie, je n'ai pas touché à la cigarette. Mais un jour, je suis tombé malade et je me suis rendu à l'hôpital. Là, on m’a dit d'arrêter de fumer la cigarette, alors que la maladie faisait suite à la pollution environnementale dont nous souffrons, avec l'incinération des déchets dans cette décharge. Aucune précision ne m’a été donnée pour me rassurer si c’était une maladie pulmonaire. On m’a juste dit d’arrêter de fumer (…) Cette décharge a un impact négatif sur ma santé et sur notre environnement. Pendant la saison pluvieuse, cette décharge dégage une odeur nauséabonde des déchets. Et pendant la saison sèche, avec l'incinération des déchets, tout le quartier est envahi par la fumée. Cela nous expose à un problème de santé pulmonaire grave. Tout le monde est obligé d’acheter des masques pour se couvrir la bouche et le nez, parce que nous sommes vraiment exposés », nous a-t-il confié.

Image décharge de comboss, radioenvironementguinee.org
Selon ce citoyen, cette exposition à ciel ouvert ne passe pas incognito. « C’est un sérieux problème qui a été débattu à plusieurs reprises. Il y a eu plusieurs mobilisations pacifiques autour de cette question et même des manifestations, mais nous n’avons trouvé aucune solution pour le moment. Maintenant, on se remet à Dieu. Aujourd’hui, pour minimiser les risques, nous sensibilisons les populations pour leur expliquer le danger auquel ils sont exposés et les encourager à porter des masques », a-t-il déploré.
Conséquences sur la santé
L’exposition aux déchets n’est pas sans conséquences, notamment pour les femmes et les enfants qui sont de plus en plus exposés. « Les conséquences immédiates pour ces femmes notamment lors des consultations, c’est la maladie des mains sales aussi appelé fièvre typhoïde (…) C’est aussi le cas des enfants qui, après avoir cohabité avec les eaux usées ou un terrain de foot, ne veillent pas à l’hygiène des mains, surtout avec le lavage des mains au savon. Les eaux stagnantes autour de nos habitations et dans nos milieux permettent aussi le développement des moustiques, notamment de l’anophèle femelle. Quand c’est la saison hivernale, il y a aussi l’apparition de plus de maladies diarrhéiques (dysenterie amibienne qui peut causer plus de complications et peut conduire à l’abcès du foie) suite à notre mode de vie (difficile utilisation des latrines, défécation dans l’air…) », explique Dr Alsény Soumah, médecin généraliste.
Des conséquences à long terme sont également à craindre pour des personnes longtemps exposées à ces déchets. Il s’agit de l’apparition de maladies cancérigènes d’origine parfois inconnue. « Mais cela peut venir de notre alimentation et de notre mode de vie (environnement, air…). Les personnes les plus exposées à la fumée de ces déchets peuvent aussi développer des maladies pulmonaires. C’est le cas par exemple de la zone de Concasseur choisie en principe pour l’incinération des ordures. Les habitants de cette zone sont beaucoup plus exposés à cette fumée. Et cette fumée une fois inhalée, on ne peut pas s’en débarrasser facilement. Il y a le dépôt de cette fumée au niveau des alvéoles pulmonaires. Et au fur et à mesure qu’on est exposé à cette fumée, ça va s’accumuler comme chez un fumeur (...) Ces gens-là ont des difficultés à respirer et à la longue, ça les expose aux emphysèmes pulmonaires (ensemble de pathologies qui entraîne des difficultés à respirer) », poursuit le médecin.
Quelle politique de gestion des déchets alliant santé et protection de l’environnement ?
Pour tous les acteurs, il faut que des actions simples et pratiques, mais fortes soient prises. « Les populations doivent avoir des canaux d’évacuation pour chaque ménage dans les quartiers. Ensuite, il faut scolariser les enfants car plus ils passent assez de temps à l’école, moins ils ont de problème au niveau de l’environnement. Il faut aussi que les ménages s’abonnent aux PME qui peuvent collecter les ordures pour éviter l’inconfort (mauvaises odeurs, gêne…) de la cohabitation avec les déchets. Ceux qui collectent les ordures devraient être mieux protégés en portant des EPI. Ensuite, la décharge où ces déchets sont acheminés devrait être délocalisée dans une zone inhabitée, reculée, pour éviter la pollution atmosphérique des habitants. Pour permettre aux éboueurs de se désinfecter, mieux vaut utiliser le chlore ou de l’eau portée à ébullition. En utilisant le chlore, il faut quand même respecter le dosage pour éviter des problèmes de santé », conseille le Dr Soumah.
« Nous sollicitons dans l’assainissement l’implication de tous. C’est une chaîne où chaque élément doit jouer son rôle, du ménage à la PME, la zone de transit, jusqu’au niveau de la décharge. Nous sollicitons aussi l’accompagnement des autorités. Ils fournissent certes des efforts avec leurs partenaires, mais nous sollicitons plus d’accompagnement. Il faut aussi de l’éducation environnementale », a proposé Thierno Ibrahima Diallo, gestionnaire de la ZTT de Yattaya Fossidet.
« Nous demandons à l’Etat de faire respecter la loi du pollueur-payeur, parce que c’est les petits bacs d’ordures installés le long de la route qui font qu'il y a des ordures partout (…) En plus, je propose l’enlèvement régulier des conteneurs d’ordures car l’assainissement comprend trois chaînes : la pré-collecte, la collecte et le transfert (…) Que l’Etat veille à ce que les ordures dans les ZTT soient transférées le plus vite possible vers les décharges », recommande pour sa part Mamadou Pathé Bah, co-gestionnaire de la ZTT de Kakimbo.
Dans ses perspectives, l'ANASP pour sa part ambitionne de faire en sorte que les autres grandes villes du pays qui ont à peu près les mêmes réalités que Conakry puissent bénéficier de l'accompagnement des partenaires techniques et financiers, et des services de l'Etat. « Dans ce cadre, un projet est en discussion ; le PGIO 8. C'est un projet de gestion intégrée des ordures de huit villes du pays, qui est en discussion avec la Banque islamique de développement. Afin d’aider aussi les autres collectivités du pays, l'agence se fera représenter auprès des 7 capitales régionales administratives pour une première étape. Et la deuxième étape sera la couverture territoriale à travers la représentation de l'agence auprès de toutes les préfectures du pays », a assuré Souleymane Traoré.
Elisabeth Zézé Guilavogui