La justice des innocentés, entre méconnaissance des citoyens et faible application de la loi
En Guinée, la loi prévoit une indemnisation pour les innocents détenus à tort, mais ce droit reste méconnu. Découvrez ses conditions et procédures.
En Guinée, la loi prévoit une indemnisation pour les innocents détenus à tort, mais ce droit reste méconnu. Découvrez ses conditions et procédures.
Bien que prévue par les articles 162 à 165 de la loi sur la Cour suprême, la réparation des innocents – communément appelée « justice des innocentés » – reste peu connue des citoyens guinéens et semble négligée par les professionnels du droit. Pourtant, les personnes placées en garde à vue ou en détention préventive, puis déclarées non coupables, ont légalement droit à une indemnisation de la part de l’État. Mais dans la pratique, cette réparation reste rarement demandée et encore plus rarement obtenue.
Mais pourquoi ? Quelles sont les conditions et procédures ? Et surtout, qu’est-ce qui freine l’application de ce dispositif de justice sociale ? Pour mieux le comprendre, un contributeur d’IdimiJam.com a rencontré le juriste Kalil Camara.
En guise d’introduction, Kalil Camara rappelle le cadre légal. « Une détention anormale, c’est une détention qui se termine par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. La réparation est prévue par les articles 162 à 165 de la loi sur la Cour suprême. L’article 162 précise que toute personne ayant subi une détention, suivie d’une décision la déclarant non coupable, et ayant subi un préjudice manifestement anormal et d’une particulière gravité, peut obtenir une indemnisation à la charge de l’État », explique-t-il.
Mais, selon le juriste, plusieurs conditions doivent être réunies pour bénéficier de cette réparation. « Il faut d'abord avoir été placé en détention, puis avoir bénéficié d'une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement. Ensuite, il faut démontrer l'existence d'un préjudice, qu'il soit moral ou matériel. Par exemple, une personne qui perd son emploi après une détention, ou dont la vie familiale est brisée, peut prétendre à une indemnisation. Ce préjudice doit être jugé manifestement anormal et d’une particulière gravité pour ouvrir droit à réparation », ajoute M. Camara.
Sur le plan procédural, Kalil Camara précise que le texte prévoit la création d’une commission d’indemnisation au sein de la Cour suprême. « Cette commission est présidée par le premier président de la Cour suprême, assisté de deux autres magistrats. La personne reconnue non coupable dispose d’un délai de six mois, à compter de la date du jugement, pour saisir cette commission. Elle est chargée d’examiner le dossier et de déterminer s’il y a lieu ou non à indemnisation. Si la détention anormale et le préjudice sont avérés, la commission fixe souverainement le montant des dommages et intérêts, qui sont à la charge de l’État », détaille le juriste.
Fait notable : l’État a la possibilité de se retourner contre les magistrats ou agents publics à l’origine de la détention injustifiée, afin de récupérer les sommes versées.
Pour Kalil Camara, cette réparation reste largement méconnue, tant par les citoyens que par certains professionnels du droit. « Il ne s'agit pas forcément d'une non-application de la loi, mais d'une absence d'information. La loi existe, mais pour en bénéficier, encore faut-il la connaître et engager les démarches. En France, par exemple, les magistrats ont désormais l’obligation d’informer les personnes relaxées ou acquittées de leur droit à réparation. La Guinée devrait s’en inspirer, afin de garantir une justice plus équitable et accessible à tous », suggère-t-il.
Enfin, le juriste appelle les citoyens à mieux s'informer sur leurs droits, et l’État à renforcer la vulgarisation des textes juridiques. « La loi doit être portée à la connaissance de tous pour que nul ne l’ignore. La justice des innocents est un droit fondamental, pas une faveur », a-t-il conclu.
Djenaba Diakité