Le tapage nocturne, entre mal récurrent et silence coupable des citoyens et autorités

Le tapage nocturne, entre mal récurrent et silence coupable des citoyens et autorités

En Guinée, le tapage nocturne persiste malgré la loi. Mariages, bars, kermesses : les habitants dénoncent un vacarme quotidien ignoré des autorités.

En Guinée, la nuisance sonore et le tapage nocturne sont des phénomènes profondément ancrés dans le quotidien. Baptêmes, mariages, anniversaires, boîtes de nuit, maquis, bars ou encore bals de kermesse scolaire, la musique y est souvent perçue comme un élément incontournable de la fête et de la convivialité. Pourtant, nombreuses sont les personnes qui dénoncent les désagréments causés par ce vacarme, pointant le silence complice des autorités malgré les conséquences sur le sommeil et le bien-être des citoyens.

Entre cris, éclats de voix et sons assourdissants projetés par des haut-parleurs, certaines zones de la capitale guinéenne semblent plongées chaque soir dans un vacarme permanent. Les lieux et les moments importent peu à ceux qui s’y livrent. Qu’ils soient organisateurs de cérémonies (baptêmes, mariages, anniversaires, bals), gérants de bars, de maquis ou de boîtes de nuit, ou simples jeunes réunis autour d’un thé — communément appelé attaya — ou d’une chicha, la musique s’impose partout, sans considération pour le repos du voisinage.

Dans certaines familles, les célébrations débutent même la veille d’un baptême ou d’un mariage. Dès la tombée de la nuit, les haut-parleurs retentissent jusqu’à minuit, parfois jusqu’à 5 heures du matin. Pour les mariages, certains carrefours ou espaces publics sont investis pour chanter et danser, transformant le quartier en véritable piste de fête.

Des habitants épuisés et résignés

Ibrahima Diallo habite près d’une école dans la banlieue de Conakry. « Quand il y a un tournoi dans cette école, à partir de 14h la musique commence et ne s’arrête qu’à 18h, du match d’ouverture jusqu’à la finale. Après la finale, ils organisent un bal jusqu’à minuit, parfois 1h ou 2h. Si c’est une kermesse, elle est toujours sanctionnée par un bal. Ça nous dérange à chaque fois parce qu’on ne peut pas dormir tant que ça chante et danse. Je me suis toujours plaint auprès du responsable de l’école, mais sans succès. Il est vraiment difficile de vivre tranquillement dans ces conditions », explique-t-il.

Les habitants de ces quartiers bruyants semblent résignés face à un phénomène persistant. « Ici, on ne dort pas. Chaque soir, c’est la même routine : musique, danse et cris de toutes sortes. On a l’impression que tout se passe dans notre maison, vu la proximité des bars et maquis. Ça insulte, ça danse, ça chante. C’est devenu la routine, qu’on le veuille ou non, matin comme soir, jour et nuit. Les auteurs de ce vacarme ne sont jamais inquiétés. Pendant ce temps, nous vivons un perpétuel recommencement », confie Chérif Sylla, chauffeur, qui ne cache pas son désarroi.

Pourtant, la législation guinéenne est claire sur la question. Dans une tribune publiée le 20 juin 2024 sur le site kalenews.org et intitulée « La loi punit les bruits et les odeurs nauséabondes dans le voisinage », le juriste Kalil Camara rappelle les dispositions en vigueur :

  • Le Code de la santé publique, dans son article 107 et suivants, stipule : « Les nuisances résultant du bruit sont préjudiciables à la santé publique. Les normes techniques appropriées seront obligatoirement appliquées pour l’élimination du bruit. Ces normes doivent être observées tant dans les locaux à usage d’habitation, sur les lieux de travail que dans les artères des localités. Des dispositions réglementaires seront prises en tant que de besoin pour déterminer les conditions d’élimination du bruit dans les ateliers, les locaux à usage d’habitation et commerciaux ».
  • De même, le Code de l’environnement interdit l’émission de bruits et d’odeurs nuisibles. « Sont interdites les émissions de bruits susceptibles de nuire à la santé de l’homme, de constituer une gêne excessive pour le voisinage ou de porter atteinte à l’environnement (article 134)». « Est interdite, de la part des installations et activités, l’émission d’odeurs qui, par leur concentration ou leur nature, s’avèrent particulièrement incommodantes et nauséabondes pour l’homme (article 137)».
  • Quant au Code pénal guinéen, son article 948 prévoit : « Les bruits ou tapages injurieux ou nocturnes troublant la tranquillité d’autrui sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 3ᵉ classe. Les personnes coupables encourent également la peine complémentaire de confiscation du matériel ayant servi ou destiné à commettre l’infraction ».

Mais malgré l’existence de ces lois et sanctions, le tapage nocturne reste un véritable fléau de trouble de la tranquillité publique. Entre résignation des citoyens et inaction des autorités, ce phénomène semble tristement accepté, au détriment du droit fondamental au repos.

Mohamed Diawara