Enterrement de vie de jeune fille : tradition importée ou besoin d'expression d'une jeunesse en quête de liberté ?

Enterrement de vie de jeune fille : tradition importée ou besoin d'expression d'une jeunesse en quête de liberté ?

En Guinée, l’enterrement de vie de jeune fille séduit de plus en plus de futures mariées. Entre liberté célébrée, influence occidentale et traditions religieuses, cette pratique suscite débats et reflète une société en pleine mutation

Elles sont de plus en plus nombreuses à s’y adonner, souvent en toute discrétion, parfois en grande pompe. À la veille de leur mariage, certaines jeunes filles organisent ce que l’on appelle « l’enterrement de vie de jeune fille », une soirée qui marque, selon elles, la fin d’une étape de vie. Inspirée de la culture occidentale, cette pratique fait débat au sein de la société guinéenne, où traditions et valeurs religieuses conservent encore une forte influence. Pourtant, elle gagne discrètement du terrain dans nos communautés.

Pour certaines futures mariées, il ne s’agit pas d’un simple mimétisme de l’Occident, mais d’un besoin de se retrouver entre amies avant d’entrer dans une vie conjugale souvent perçue comme synonyme de contraintes. Elles estiment qu’elles ne pourront plus faire ce qu’elles veulent — comme aller à la plage, en boîte de nuit, se promener ou sortir au restaurant — une fois mariées, sans l’autorisation de leur époux. Alors, pour la toute dernière fois avant leur union, elles réunissent leurs amies pour une fête de circonstance.

« C’est une façon de dire au revoir à une liberté que les filles vont probablement perdre en se mariant. Ça prouve que la fille quitte le célibat pour adopter le statut de femme mariée. C’est pour cela qu’à l’approche du mariage, elles se réunissent entre amies pour manger, jouer, danser et chanter. Passer surtout un moment mémorable. Souvent, les filles, une fois mariées, n’ont plus cette liberté de se divertir. Raison pour laquelle elles se retrouvent entre copines pour se recréer », explique Aïssatou Diallo, élève.

Ce concept s’apparente à un véritable pique-nique, où la future mariée, entourée de ses amies, se retrouve à la piscine, à la plage, au restaurant ou parfois dans une chambre décorée aux couleurs qu’elle affectionne, à quelques jours ou heures de son mariage. Des parfums aux senteurs envoûtantes accompagnent un groupe de filles vêtues d’un uniforme, souvent aux couleurs symbolisant l’amour, l’union et la paix.

Une musique douce et mélodieuse vient sublimer ces retrouvailles qui ont parfois des allures d’adieu. Rires, sourires, gaieté et parfois une touche de tristesse se mêlent à une danse vibrant au rythme de l’amitié.

Dans certaines communautés, le mariage représente pour une fille une étape de maturité, marquant un changement de comportement où le sérieux, le respect et la soumission envers l’époux deviennent des valeurs essentielles qui doivent la guider tout au long de sa vie. Dès lors, vivre des moments de complicité avec ses amies avant de changer de statut apparaît, pour certaines, comme un geste naturel dans ce contexte.

« Aujourd’hui, les filles sont conscientes qu’une fois mariées, elles n’auront plus la même liberté de sortir, de s’habiller comme avant, ou même de passer du temps entre copines. Alors pourquoi ne pas en profiter une dernière fois ? », s'interroge Aïssatou, détendue.

Des avis partagés

Du côté des femmes déjà mariées, les avis sont partagés. Aminata, mariée depuis vingt ans, reconnaît qu’à leur époque, de telles choses n’existaient pas, mais qu’à la veille de son mariage, elle et ses amies avaient organisé une veillée nocturne au village pour chanter, raconter des histoires ou jouer à cache-cache. Une manière d’accompagner la future mariée vers une nouvelle vie. « Si j’avais pu marquer cette étape avec mes proches, j’aurais peut-être mieux vécu les débuts du mariage », confie-t-elle.

Ce concept d’enterrement de vie de jeune fille est vu par certaines comme un choix libre : l’organiser ou pas dépend des moyens et de la manière dont chaque femme souhaite vivre l’un des plus beaux jours de sa vie. « Ce phénomène est l’expression d’une jeunesse qui évolue dans un monde globalisé. Il faut dialoguer, pas condamner. La société doit accompagner ces mutations sans perdre ses repères. Il est possible d’avoir une célébration symbolique, joyeuse, mais respectueuse de notre culture », estime Mamadou Sidibé.

« C’est un concept purement occidental que nous avons adopté. Aujourd’hui, chacune le fait à sa manière, car chaque femme a une vision différente de sa cérémonie, de ce jour si important pour elle. Celles qui veulent le faire peuvent le faire, c’est une question de moyens. Se retrouver entre filles, camarades, rigoler… Celles qui ne veulent pas, et qui disent que c’est une culture africaine, ethnique, doivent savoir que c’est une culture occidentale que nous avons adaptée. Je voudrais que chacune fasse ce qui lui plaît. À la base, ce genre d’événement est très animé, que de ce qu’on voit et entend. Mais ici, nous sommes très loin de cela. Nous avons simplement repris un concept, à notre manière : se retrouver à un endroit, avec des pyjamas, aller en boîte, danser… Tant que la personne y trouve son bonheur, ça me va », confie Rouguiatou Alpha Bah.

Les religieux sont unanimes : cette pratique est, selon eux, une innovation sans aucun fondement religieux, qui gagne peu à peu du terrain, notamment parmi les jeunes. Bien souvent, ces célébrations se déroulent discrètement, entre jeunes filles, sans que les parents en soient informés.

Chez de nombreux hommes, notamment les futurs mariés, cette pratique est souvent mal vue. Ils estiment que les filles créent des dépenses inutiles qui ne relèvent ni de la religion ni de la tradition. Pour eux, c’est une adoption à l’occidentale synonyme de gaspillage.

« Lorsqu'une fille trouve un mari dans la conjoncture actuelle, l’idéal serait qu’elle se contente de l’essentiel pour le jour de la cérémonie : la dot, la nourriture et quelques éléments indispensables. Un homme qui a peiné à économiser pendant des mois, voire des années, ne devrait pas avoir à faire face à ce genre de dépenses excessives. Très souvent, après une célébration en grande pompe, on se retrouve sans un sou dès le lendemain », s’insurge Mamadi, 25 ans.

L’enterrement de vie de jeune fille s’impose lentement dans les habitudes d’une certaine jeunesse urbaine. Entre besoin d’expression individuelle, influence culturelle occidentale à travers les médias et résistance des traditions, la pratique divise. Mais elle révèle aussi une société en pleine évolution.

Mohamed Diawara