Tuberculose en Guinée : entre efforts de riposte et défis persistants dans la prise en charge des patients

Tuberculose en Guinée : entre efforts de riposte et défis persistants dans la prise en charge des patients

Malgré des traitements gratuits, la tuberculose reste un fléau en Guinée, aggravé par les coûts cachés, la stigmatisation et un dépistage tardif. Enquête sur une lutte inégale au cœur du système de santé.

Avec une incidence de 175 cas pour 100 000 habitants, la tuberculose demeure un problème majeur de santé publique en Guinée, comme dans certains pays en développement. Déclarée priorité sanitaire nationale depuis 1990, la maladie continue néanmoins de se propager à un rythme préoccupant, signe que la riposte reste insuffisante. En 2021, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a enregistré 42 554 cas présumés de tuberculose dans le pays, dont 18 960 ont été confirmés par dépistage bactériologique.

À travers les témoignages de patients et de soignants, cet article plonge au cœur du quotidien de ceux qui, souvent dans l’ombre, luttent contre une épidémie qui isole, appauvrit et stigmatise.

« Le traitement est gratuit, mais tout le reste est à nos frais »

Rencontré au Centre de Référence Antituberculeux (CRAT) de Conakry, Aboubacar Traoré, chauffeur de profession, suit un traitement contre la tuberculose pulmonaire depuis trois mois. « Quand j’ai commencé à tousser, je pensais que c’était un simple rhume. Ce n’est qu’au bout de deux mois, quand je me suis vraiment senti affaibli, que je suis allé consulter. J’ai dû payer 300 000 GNF pour les examens et le carnet de visite. Les médecins m’ont précisé que seuls les médicaments sont gratuits », raconte-t-il.

Même constat pour Djenabou Diallo, venue récupérer des médicaments pour son fils de neuf ans, malade depuis plus de huit mois. « À notre arrivée, j’ai payé 30 000 GNF pour le carnet, puis 550 000 GNF pour les examens. Chaque semaine, je dépense 50 000 GNF rien qu’en transport. Il arrive qu’on me demande de revenir la semaine suivante faute de médicaments. Depuis le début du traitement, j’ai dépensé plus de cinq millions de francs guinéens. J’ai même dû vendre des biens pour faire face aux dépenses. C’est difficile, mais la santé passe avant tout », confie-t-elle.

Entre stigmatisation et précarité

Au-delà des difficultés financières, de nombreux patients subissent une forte stigmatisation sociale. Un conducteur de taxi-moto, qui a souhaité garder l’anonymat, témoigne : « Quand les gens ont su que j’étais malade, même mes amis ont commencé à m’éviter. Certains refusaient de manger avec moi ou de partager une cigarette. Ma clientèle a chuté, j’ai dû aller travailler loin de mon quartier. J’ai fini par arrêter le traitement, car je ne pouvais pas me rendre régulièrement au centre tout en continuant à gagner ma vie. Et lorsqu’il y a un changement de médicament, on me demande parfois de payer, car ils sont rares et chers ».

Un centre qui se défend

Face à ces critiques, le Dr Abdouramane Barry, surveillant général du Centre de Référence Antituberculeux de la Carrière, dans la proche banlieue de Conakry, dément catégoriquement toute accusation de vente de médicaments ou de rupture de stock. « Les médicaments sont fournis gratuitement par l’État avec l’appui de nos partenaires. Ils sont disponibles dans les 117 centres de traitement du pays, dont 24 à Conakry. Aucun médicament n’est revendu ici, et nous n’avons jamais connu de rupture de stock. En revanche, les frais de consultation concernent les examens complémentaires, notamment lorsque les patients présentent d’autres pathologies. Seuls les médicaments sont entièrement gratuits », a-t-il rappelé.

Selon lui, la principale difficulté réside dans le dépistage tardif, notamment chez les populations les plus vulnérables : fumeurs, consommateurs d’alcool ou de drogues. « Pour le premier trimestre 2025, nous avons recensé 50 nouveaux cas de tuberculose pulmonaire, dont 6 cas de rechute et 23 cas de formes extrapulmonaires. Beaucoup de patients arrivent trop tard. Ce qui complique le traitement et augmente les risques de transmission », a indiqué le Dr Abdouramane Barry.

Sensibilisation, diagnostic précoce et lutte contre la stigmatisation

Face à ces réalités alarmantes, certaines voix médicales appellent à une riposte plus structurée et proactive. C’est le cas du Dr Oumou Hawa Diallo, pneumologue à l’Hôpital national Ignace Deen. Depuis des années, elle observe les ravages silencieux de la tuberculose et les retards de diagnostic aux conséquences parfois irréversibles. « Une tuberculose non dépistée à temps peut provoquer de graves lésions pulmonaires. Même après guérison, certains patients gardent des séquelles respiratoires à vie. Et sans le savoir, ils contaminent d’autres personnes. Cela complique considérablement la lutte contre la maladie en Guinée », alerte-t-elle. L’enseignante-chercheuse à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry insiste sur l’importance du dépistage systématique pour briser la chaîne de transmission. Parmi ses recommandations, elle appelle à :

  • Mener des campagnes de sensibilisation en langues locales à travers la radio, la télévision et l’affichage public ;
  • Organiser régulièrement des opérations de dépistage et d’information dans les quartiers et les zones rurales ;
  • Décentraliser davantage les services de pneumologie ;
  • Impliquer activement les agents de santé communautaires dans l’identification précoce des cas.

« Il est aussi crucial de combattre la stigmatisation, qui retarde le recours aux soins. Les malades doivent être accompagnés, sur les plans social et financier, car beaucoup vivent dans une grande précarité », insiste-elle.

Silence du Programme national… 

Dans le cadre de la rédaction de cet article, un contributeur d’IdimiJam.com a essayé à plusieurs reprises d’obtenir une réaction des responsables du Programme national de lutte antituberculeuse (PNLAT). Mais au moment où nous le publions, toutes ces tentatives sont restées sans réponse.

La tuberculose, ou TB, est une maladie infectieuse causée par la bactérie Mycobacterium tuberculosis, également connue sous le nom de bacille de Koch. Bien qu’elle touche principalement les poumons, elle peut aussi affecter d’autres organes : les os, la peau, ou encore les ganglions.

On distingue deux formes :

  • L’infection tuberculeuse latente (ITL) : le patient est infecté mais ne présente aucun symptôme.

  • La tuberculose-maladie : forme active et contagieuse.

 

Les symptômes les plus courants incluent : fièvre persistante, amaigrissement, sueurs nocturnes, perte d’appétit et toux prolongée. La transmission se fait par voie aérienne, via les micro-gouttelettes émises lors de la toux, des éternuements ou même de la parole.

À l’heure où la communauté médicale s’est fixée pour objectif d’éradiquer la tuberculose d’ici 2030, la Guinée devra intensifier ses efforts pour que les engagements politiques se traduisent en résultats concrets. Car, au-delà des médicaments, c’est tout un système de prise en charge, de sensibilisation et de soutien social qu’il faut consolider.

Morlaye Keita