Pour mieux comprendre cette réalité, un contributeur de la plateforme IdimiJam.com est allé à la rencontre de personnes drépanocytaires, de familles de patients et de professionnels de santé.
Ces échanges permettent de découvrir ce à quoi ressemble véritablement le quotidien des patients et de ceux qui les accompagnent dans ce long parcours.
Le personnel soignant face aux drépanocytaires
Au Centre SOS Drépano, seul établissement spécialisé en Guinée dans la prise en charge des patients atteints de drépanocytose, le personnel soignant est confronté chaque jour à une réalité faite de douleurs physiques, de charges sociales et de moyens limités. La Dre Mama Doufary Diallo, pédiatre-drépanologue, témoigne de cette lutte quotidienne. « La drépanocytose est une maladie génétique héréditaire. Connue sous le nom de “maladie des os brisés” », explique-t-elle à l’entame.
La maladie touche les enfants dont « les deux parents sont porteurs du trait drépanocytaire ». Ses manifestations varient mais peuvent être graves : douleurs, complications osseuses, atteintes du foie, des reins ou encore de la rate.
En Guinée, la prévalence est estimée entre 2,5 et 5%, avec une concentration marquée dans les régions de la Moyenne et de la Haute-Guinée. Ce constat s’explique notamment par « les mariages consanguins et le manque de dépistage fait au préalable », ajoute la spécialiste.
Les patients arrivent souvent au centre après avoir consulté plusieurs structures sans réponses adaptées. « La plupart du temps, c’est des gens qui ont vu plusieurs praticiens avant d’arriver à nous », précise Dre Diallo.
Le dépistage, même s’il est organisé sur place, reste difficile à expliquer à certaines familles. « La plupart n’a pas été à l’école. C’est compliqué de leur expliquer que la maladie vient des deux parents, qu’elle est incurable », explique notre interlocutrice.
Une prise en charge difficile à supporter
Les traitements prescrits suivent un protocole précis. À ce niveau, le Dr Diallo précise : « Tous les enfants ont une prévention. Ils reçoivent de l’acide folique qui leur apporte du sang, de l’Ospen pour éviter les infections à pneumocoque, et aussi du Fansidar®, un antipaludéen parce que quand les enfants font les crises de paludisme, il déclenche leur crise drépanocytaire ».
Lorsque l’enfant présente une fièvre ou une crise aiguë, il est mis sous antibiotiques et reçoit des perfusions, parfois en hôpital de jour. Les cas graves nécessitent des transfusions et sont dirigés vers le CHU Donka.
Le vaccin Prevenar, recommandé mais coûteux (300 000 à 500 000 GNF), est souvent remplacé par l’administration d’Ospen. Le médicament clé, l’hydroxyurée, est peu accessible en raison de son prix élevé. « C’est un médicament qui est énormément cher, mais on n’a pas de subvention de l’État », explique Dre Diallo.
Le soutien moral en faveur des patients et de leurs familles
Face à l’absence de soutien psychologique officiel, le centre a mis en place des séances mensuelles d’éducation thérapeutique. « On leur explique tout le cheminement que l’enfant peut avoir, la conduite à tenir des parents, comment ils doivent s’occuper des enfants », explique la pédiatre-drépanologue.
Ces rencontres permettent aussi de reconstruire la confiance. « Au début, même s’ils sont réticents, au bout de deux, trois consultations, quand ils voient que l’enfant s’améliore, ça leur donne du courage », se félicite Dre Diallo.
Le dépistage reste un luxe pour nombre de familles : « Ici, un dépistage coûte 200 000 GNF. C’est compliqué de pouvoir demander à une famille qui n’a même pas son quotidien de payer un tel montant », reconnaît-elle.
Et pourtant, selon la Dre Doufary, « il faut la prévention primaire, à ce que les enfants qui naissent soient dépistés systématiquement, ou du moins, si l’on sait qu’il y a un drépanocytaire dans la famille, l’enfant qui naît doit être préalablement dépisté ». En outre, elle milite pour qu'on mette fin aux mariages consanguins.
Par ailleurs, les conséquences de la maladie ne sont pas que médicales. Les femmes portent l’essentiel du poids. « Aux consultations, les hommes ne viennent que rarement. Et souvent, quand ils ont deux enfants drépanocytaires, ils vont épouser une deuxième femme », explique-t-elle.
Le combat quotidien de Djalikatou Touré, drépanocytaire
Djalikatou Touré est étudiante en Informatique. Elle vit avec la drépanocytose de type SS. Elle en a été diagnostiquée à l’âge de trois ans. Cette maladie génétique, qui affecte les globules rouges, est une épreuve difficile à surmonter au quotidien.
Pour IdimiJam.com, elle décrit sa douleur causée par la drépanocytose. « Pour moi, une douleur drépanocytaire, c’est une douleur extrêmement intense. Quand je dis “excessive”, c’est vraiment excessive. C’est comme si des lames de rasoir traversaient tout mon corps. En fait, ce n’est pas juste une douleur musculaire ou un point de côté. C’est une douleur insupportable, déchirante, qui transperce les os », explique-t-elle. Cette intensité de la douleur fait que seuls ceux qui vivent avec la maladie peuvent réellement comprendre ce que cela signifie.
Face à la douleur physique, Djalikatou souligne l’importance d’un mental fort pour y faire face. « C’est très compliqué. Il faut vraiment avoir un esprit de combattant et un courage immense pour vivre avec cette maladie », confie-t-elle.
Son parcours d’étudiante est rythmé par les crises qui la forcent à manquer souvent les cours. « Je suis déjà habituée maintenant : quelques jours à l’école, quelques jours autres à la maison. C’est forcément comme ça. Je ne peux pas faire du 10/10. C’est souvent du 6/10, parfois même du 5/10, voire du 4/10. Je peux aller à l’école pendant une semaine, tout se passe bien, et le lendemain, une crise surgit. C’est très compliqué. Il n’y a pas de “je vais gérer ou pas”, on prend la douleur comme elle vient (...) Je suis habituée ! », décrit-elle.
Lorsque la maladie se fait trop lourde, Djalikatou se retire pour se reposer ou se rend à l’hôpital.
Malgré les obstacles, elle exerce une activité professionnelle en tant que maîtresse de cérémonie, bien que la maladie limite souvent ses mouvements. La priorité reste sa santé.
Les difficultés rencontrées ne sont pas seulement physiques : la stigmatisation et les moqueries ont souvent jalonné son parcours. « À cause de mes nombreuses crises, je n’allais pas à l’école tous les jours. Je pouvais passer une semaine à la maison, deux jours à l’école ; puis de nouveau deux jours à l’école, et deux ou trois mois à la maison sans revenir. Et une fois de retour, j’entendais : “La mort vivante est de retour.” Ou encore : “Pourquoi elle revient, pourtant elle est malade, elle ferait mieux de rester chez elle.” Certains disaient que la maladie était contagieuse. D’autres faisaient des remarques sur mes yeux jaunâtres, dus à la maladie : “C’est la drogue ?”, me demandaient-ils. Heureusement, ce sont des choses qui ne m’affectent plus. J’ai dépassé cette étape », souligne-t-elle.
Parmi les épreuves majeures, Djalikatou évoque une opération réalisée hors du pays alors qu’elle avait sept ans, ainsi qu’un examen important raté à cause des crises. « L’opération ne s’est pas faite dans le pays. Il a fallu m’évacuer. C’était très stressant, autant pour moi que pour mes parents. Aussi, j’ai raté mon bac une année où j’avais tout donné. Malheureusement, à cause des crises, je n’ai pas pu le passer », regrette-t-elle.
Malgré les difficultés, Djalikatou refuse de se laisser abattre. Sa stratégie est simple et puissante : garder le moral. « Je ne me suis jamais considérée comme une personne à part parce que je suis malade. Je me répète constamment : “Ça va aller, aie confiance en toi, personne n’est au-dessus de toi.” La douleur finira par passer, et tu pourras reprendre ta vie normalement », confie la jeune femme.
Le stress incessant des familles
Dans une autre famille, tout le monde est encore sous le choc, après la mort d’une de leurs filles en 2021, des suites d’une drépanocytose de type SS. Cette étudiante avait 25 ans lorsqu’elle est décédée, après plusieurs années de lutte contre la maladie. Le stress face aux crises répétées ne laisse pas indifférents ses parents, qui ont rencontré de nombreuses difficultés financières et psychologiques durant le combat contre la maladie de leur fille.
Avec la disparition de cette dernière, Kady*, élève âgée de 15 ans, sœur de la défunte, et ses parents pensaient avoir laissé cette épreuve derrière eux. Mais ils se sont rendus compte que la benjamine de la famille, âgée à peine de 13 ans, vivait elle aussi avec la drépanocytose, sans que personne ne le sache. Il a fallu un dépistage pour révéler que la plus petite de la famille est drépanocytaire de type AS. « Depuis qu’elle est née, nous ne savions pas qu’elle avait la maladie. C’est après le décès de notre grande sœur que nous avons commencé à remarquer ses crises et à les comparer à celles de la défunte pour comprendre que c’était la drépanocytose. Elle avait souvent des crises, mais nous pensions que c’était du rhumatisme. C’est après le dépistage que nous avons réalisé que c’était la drépanocytose, mais de type AS », explique l’adolescente.
Le père et la mère de cette jeune fille sont tous deux porteurs sains de la drépanocytose, bien que leur mariage ne soit pas consanguin, contrairement à beaucoup de cas observés.
Aujourd’hui, la mère, seule dans ce combat depuis la mort de son mari il y a environ cinq ans, a du mal à joindre les deux bouts. Entre la charge familiale et la prise en charge de sa fille drépanocytaire, le quotidien est difficile. « Parfois, même trouver les médicaments est compliqué. Nous pouvons rester toute la journée sans un signe, puis à partir de 3 heures du matin, les crises commencent. C’est souvent à cette heure que nous la dirigeons vers le CHU Donka. Cela perturbe beaucoup la maman, qui se sent impuissante face à ces crises. Parfois, elle peut rester un mois sans aller à l’école », précise Khady*.
Une autre femme, mariée à son cousin, nous confie être à bout de souffle face aux difficultés que traversent deux de ses filles depuis leur naissance. Elle utilise de l’acide folique pour soulager, à sa manière, le mal qui ronge ses enfants. Son quotidien se résume à aller à l’hôpital et à veiller sur ses enfants drépanocytaires à la maison.
La drépanocytose reste une maladie difficile à guérir, mais pourtant facile à prévenir. Conscient de cette réalité, le Centre SOS Drépano a piloté plusieurs séances de sensibilisation dans certaines universités de Conakry. Il a invité dans ces universités les jeunes à prendre conscience de l’importance du dépistage, un geste simple mais essentiel pour mieux prévenir la maladie.
En effet, le dépistage avant le mariage est un acte responsable et un véritable geste d’amour. Il permet d’agir pour un avenir sans drépanocytose, visant à atteindre l’objectif de zéro mariage à risque et zéro enfant drépanocytaire SS ou SS dans nos familles. Parce que prévenir, c’est sauver des vies !
Mohamed Diawara