Automédication : un risque pour la santé du patient

 Automédication : un risque pour la santé du patient

L’automédication est un moyen de traitement employé par une personne suite à des soupçons ou symptômes de maladie. En Afrique, notamment en Guinée, cette pratique est devenue de plus en plus courante. Qu’on soit jeune, adulte ou personne âgée, l’automédication peut toucher tout le monde. Pourtant, cette pratique peut se révéler dangereuse

 

L’automédication est un moyen de traitement employé par une personne suite à des soupçons ou symptômes de maladie. En Afrique, notamment en Guinée, cette pratique est devenue de plus en plus courante. Qu’on soit jeune, adulte ou personne âgée, l’automédication peut toucher tout le monde. Pourtant, cette pratique peut se révéler dangereuse pour la santé. Pour mieux en parler, la rédaction d’IDIMIJAM.COM a rencontré Dr Madou Traoré, médecin, chargé de chirurgie viscérale à l'Hôpital national de Donka, et Directeur exécutif de l’ONG Initiative médico-sociale de Guinée (IMSOG).

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit l’automédication comme « l’utilisation des médicaments par une personne pour traiter des affections ou des symptômes auto-diagnostiqués, sans consultation médicale. Cela inclut l’usage de médicaments en vente libre, de médicaments prescrits précédemment pour une affection similaire, ou de médicaments obtenus sans prescription ». Dr Madou Traoré la définit, pour sa part, comme « toute institution d’un traitement médicamenteux, instauré par un patient sur sa propre initiative, sans aucune prescription médicale ».

Pratiquée par de nombreuses personnes, toutes catégories confondues, l'automédication est aujourd’hui une préoccupation de santé publique en Afrique. En Guinée, une enquête menée dans le contexte de la COVID-19 chez la population générale et les professionnels de la santé indique que la prévalence de l'automédication est à 15,3%. « Les médicaments consommés sont principalement les antibiotiques, la vitamine C, les médicaments traditionnels. Les sources d'approvisionnement sont notamment les officines de pharmacie, les membres de la famille, les colporteurs », précise les résultats de l'enquête. Une autre étude menée au service de pédiatrie de l'Hôpital national de Donka à Conakry et publiée en juillet 2022, révèle que 60,8% des 1 584 enfants hospitalisés avaient pratiqué l'automédication avant leur admission. « Cette pratique concernait principalement les enfants âgés de 1 à 5 ans (41,8%) et était plus fréquente chez les filles (55%). Les médicaments étaient souvent achetés dans des lieux publics et utilisés pour traiter des symptômes tels que la fièvre, la toux, les maux de tête ou le paludisme (67,23%). Le paracétamol était le médicament le plus couramment utilisé (69,92% des cas). Les effets secondaires signalés incluaient principalement des vomissements (66,09%) », indique l’étude.

Encadrée, l'automédication peut se révéler bénéfique pour les populations. Dans le cas contraire, elle comporte de nombreux risques. Ce sont entre autres l’usage inapproprié des médicaments, les interactions médicamenteuses et l’augmentation de la résistance aux antibiotiques. « L’automédication n’a aucun intérêt concernant la qualité de la santé ; l'intérêt est seulement personnel pour celui qui l’utilise, mais c’est à court terme (coût financier réduit, facilité d’accès au médicament…)», précise Dr Madou Traoré.

 Dr Madou Dr Madou

Des conséquences néfastes sur la qualité de la santé

La pratique de l'automédication n’est pas sans risques. Au nombre de celles-ci, il y a les risques d’erreur de diagnostic, l’interaction médicamenteuse, le surdosage et la toxicité, le masquage de symptômes parfois importants, retardant ainsi le diagnostic et la prise en charge des maladies, les allergies et effets secondaires, et les problèmes liés à la conservation des médicaments.

« Tous ceux qui recourent à l’automédication exposent la qualité de leur santé au danger. Cela peut aboutir même à la mort. Le paracétamol qui est fréquemment utilisé peut avoir des conséquences, notamment des hépatites fulminantes peu connues. L’utilisation d’autres médicaments liés à l’automédication sans aucune autorisation médicale peut masquer l’évolution de certaines pathologies (…) Il y a des études qui ont montré que les effets avantageux de l’aspirine sont minimes. Une utilisation abusive de ce produit peut exposer à des risques de saignement au niveau cérébral (…) Quelqu’un qui a l’ulcère, quand il utilise du diclofénac ou l’ibuprofène, il expose son estomac à une perforation. Dans les services de chirurgie, il n’y a pas une semaine où on ne reçoit pas des cas de péritonite par perforation ou d’ulcère gastrite. L’une des causes les plus fréquemment rencontrées, c’est la consommation des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Il y a aussi les cas de surdosage. Lorsque les médicaments sont utilisés à des doses très élevées, elles peuvent conduire à des overdoses, à la mort parfois. Une autre conséquence de l’automédication, c’est l'interaction médicamenteuse, pouvant aboutir à des surdosages, des overdoses, à des effets nuls (l’effet de l’un peut inhiber l’effet de l’autre médicament) », détaille Dr Madou Traoré.

Augmentation de la résistance aux antibiotiquesL’augmentation de la résistance aux antibiotiques, c’est l’une des principales conséquences de l’automédication à laquelle plusieurs citoyens font face quotidiennement. C’est le cas de Suzanne Béavogui. « J’ai pris l’habitude de me procurer des médicaments moi-même parce je ressentais régulièrement des douleurs. C’était d'abord au niveau des dents. Pour calmer cela, je prenais de l’aspirine. Au fur et à mesure, ça a commencé à ne plus fonctionner. Je suis passée à l'amoxicilline, ensuite l’Ibuprofène. Maintenant, tous ces produits ne me calment plus. En plus, vu que j’ai des maux de tête intenses régulièrement, j’ai commencé à prendre du paracétamol, mais cela n’a plus d’effets aussi, quel que soit le nombre de comprimés. Je suis finalement passé à l’ibex/trialgic sur recommandation d’une connaissance. C’est les seuls produits qui calment mes douleurs efficacement. C’est un combo de paracétamol, ibuprofène et caféine. On m’a conseillé d’arrêter ces produits à cause des risques d’inflammation et de mon problème de gastrite, mais c’est difficile pour moi car je n’ai rien d’autre d’efficace pour me calmer », nous confie la jeune dame.

Chez Adama Hawa Bah, la situation est encore plus grave. « Chaque mois, j’ai des douleurs insoutenables qui me clouent au lit, des migraines qui m’assaillent et une fatigue écrasante pendant mes règles. La seule arme qui me soulage, ce sont les médicaments : Ibuprofène, paracétamol, antispasmodiques, Antadys (…) Mais chaque prise est un soulagement temporaire. Au début, c’était occasionnel. Mais petit à petit, mon corps s’est habitué. Une seule dose ne suffisait plus. J’augmentais sans m’en rendre compte, et j’ai commencé à en prendre même par anticipation, par peur que la douleur revienne. A force de chercher un refuge dans ces comprimés, je suis tombée dans une spirale que je n’avais pas anticipée. Ce qui devait être une solution finalement est devenu une habitude ancrée dans mon quotidien. Malgré les mises en garde des médecins, malgré les rappels sur les risques d’ulcères, de troubles digestifs ou d’insuffisance rénale, j’étais incapable d’arrêter. Je ne me suis vraiment inquiétée que le jour où mon corps a commencé à me parler autrement, c’était fin 2023. Maux de ventre persistants, fatigue chronique, et surtout, une dépendance psychologique : sans mes médicaments, je paniquais », se souvient la jeune femme. Aujourd'hui, pour pallier cela, elle essaie de trouver différentes alternatives : des infusions, du repos, des techniques de relaxation et d’autres techniques comme des tisanes avec des plantes médicinales même si le chemin est encore long.

Les propositions du médecin pour réduire les risques liés à l’automédication

Conscient de ce problème de santé publique et de ses nombreuses conséquences, Dr Madou Traoré lance une invit aux différents acteurs. « Il faut que les autorités procèdent à l’information et à la sensibilisation des populations sur les dangers des médicaments et de l’automédication, pour un changement de comportement. Il faut qu’ils assurent le suivi de contrôle des officines afin qu’elles puissent appliquer la loi en vigueur. Aux prescripteurs, il faut laisser la prescription au personnel, aux professionnels de santé. Le syndicat et le conseil de l’ordre des pharmaciens doivent organiser des horaires d’ouverture et de fermeture ainsi que le rôle des gardes des officines. J’invite les citoyens à toujours consulter un agent de santé en cas de maladie. N’écoutez pas les recommandations de médication de vos proches. Prenez toujours vos médicaments sur avis médical », a-t-il conseillé.

Elisabeth Zézé Guilavogui