N’Zérékoré : la rivière Tilé, symbole d’un désastre écologique silencieux

N’Zérékoré : la rivière Tilé, symbole d’un désastre écologique silencieux

Autrefois source de vie à N’Zérékoré, la rivière Tilé est aujourd’hui transformée en décharge à ciel ouvert, symbole d’une urbanisation anarchique et d’un désengagement environnemental alarmant. Les habitants lancent un cri d’alerte.

Autrefois source d’eau potable et de vie pour les habitants de N’Zérékoré, la rivière Tilé est aujourd’hui méconnaissable. Transformée en décharge à ciel ouvert, elle cristallise les conséquences d’une urbanisation anarchique et d’un manque criant de politique environnementale viable. Les riverains, pris au piège d’un environnement pollué, appellent à l’aide.

De Bellevue à Nakoyakpala, la rivière Tilé étouffe sous les déchets ménagers. Longtemps considérée comme un joyau naturel de N’Zérékoré, cette rivière est désormais le théâtre d’une pollution massive qui menace non seulement l’écosystème local, mais aussi la santé des populations qui vivent à ses abords. « Tilé était autrefois une rivière poissonneuse, d’une propreté irréprochable. Son nom même, en langue kpèlè, signifie “abandonner le champ”, car nos parents y trouvaient tant de poissons qu’ils délaissaient parfois leurs activités agricoles pour pêcher », se souvient Edmond Gamys Zogbélémou, un vieil habitant de la ville. « Aujourd’hui, des habitations ont été érigées jusque dans le lit de la rivière. C’est l’homme qui l’a détruite. Ce cours d’eau est devenu une poubelle, et c’est une honte », s’indigne-t-il.

Sur les rives de Tilé, les plaintes se multiplient. Mohamed Kourouma dénonce les comportements inciviques. « Des gens viennent jeter des ordures dans la rivière. À la moindre pluie, les déchets envahissent nos maisons. L’odeur est insupportable. Nous demandons à la commune de nous aider à nettoyer Tilé », lance cet habitant d’un quartier riverain.

Pour certains, vivre à proximité de Tilé est devenu un calvaire. « Nous sommes fatigués. Si nous avions les moyens, nous aurions quitté cette zone depuis longtemps. Chaque année, nous subissons les inondations, aggravées par les déchets qui bouchent le lit de la rivière », confie Abdoulaye Baïlo Diallo, riverain.

L’homme à l’origine de son malheur…

Tilé

Les spécialistes pointent directement les effets des activités humaines. Pour Amadou Baïlo Baldé, environnementaliste, les causes sont claires. « Ce sont les activités anthropiques et l’urbanisation désordonnée de la ville qui ont détruit Tilé. Ce cours d’eau a été transformé en dépotoir. On y voit des amas d’ordures dans presque tous les quartiers traversés », fustige-t-il.

Et de rappeler les fonctions vitales que remplissait la rivière : « Tilé nous fournissait de l’eau, permettait la pêche, contribuait à la régulation climatique (…) Aujourd’hui, ces bénéfices ont disparu. Même les poissons qu’on y trouve sont impropres à la consommation ».

Les conséquences sanitaires et environnementales se font déjà ressentir. En 2016 et en 2019, des bâtiments se sont effondrés dans la zone, notamment à Yankadissa et Koutéyapoulou.

Face à cette réalité, Amadou Baïlo Baldé plaide pour une action urgente des autorités locales : « Quelle que soit l’initiative prise, si la mairie ne suit pas, elle sera vaine. Il faut interdire les constructions sur les berges, déguerpir les habitations illégales, reboiser les alentours et restaurer le lit de la rivière ».

Les autorités locales dépassées ?

Disant être consciente de l’urgence d’agir, la mairie de N’Zérékoré dit manquer de moyens pour mener à bien cette mission. « Nous connaissons tous l’importance de cette rivière pour la ville de N’Zérékoré, admet Nyakoye Georges Oscar Lamah, le président de la Délégation spéciale de N’Zérékoré. Dès le début de la saison pluvieuse, il y a eu des inondations dans quelques quartiers riverains. Avec nos petits moyens, nous avons cherché une machine pour curer la rivière et dégager les encombrants. Nous aimerions faire mieux, mais nous sommes limités en moyens. Nous faisons appel à l’État et aux personnes de bonne volonté pour nous aider à redonner vie à Tilé ».

Gilbert Tinguiano