Face à l’initiative du gouvernorat, Fatoumata Chérif plaide pour une politique durable de gestion des déchets

Face à l’initiative du gouvernorat, Fatoumata Chérif plaide pour une politique durable de gestion des déchets

Malgré les nombreuses initiatives et actions entreprises pour débarrasser Conakry des ordures, la ville continue d’être engorgée par les déchets plastiques. C’est donc fort de ce constat que le gouvernorat de la ville a lancé, le 14 mai dernier, l’opération « Riz contre déchets plastiques ».

Cette campagne d’échange vise à inciter les citoyens à se débarrasser des plastiques qui envahissent les rues, en échange de kilos de riz. Si l’initiative est jugée louable par certains acteurs de l’environnement, elle est néanmoins critiquée par d’autres, notamment pour son manque de structuration et son absence de collaboration avec les organisations locales déjà actives sur le terrain.

Éco-activiste reconnue, Fatoumata Chérif est fondatrice du projet Selfie déchets ainsi que de l’initiative Ecopoint. Selon elle, cette opération du gouvernorat s’inscrit dans une dynamique d’économie circulaire. L’échange de plastiques contre un bien de première nécessité peut constituer un levier de motivation important pour impliquer les citoyens, en particulier les plus précaires. Toutefois, elle alerte : « Ce genre d’initiative, pour être efficace, doit être accompagnée d’une stratégie complète, depuis la collecte jusqu’à la valorisation des déchets. Le communiqué publié par le gouvernorat ne donne pas de détails suffisants sur la chaîne logistique mise en place. »

Des zones d’ombre persistent sur la logistique

L’une des principales inquiétudes relevées par l’éco-activiste concerne le flou organisationnel. Où les citoyens doivent-ils se rendre ? Comment les déchets seront-ils pesés ? Où s’effectuera la remise du riz ? Autant de questions qui restent sans réponses claires. Selon Fatoumata Chérif, l’initiative risque de tourner court sans une chaîne logistique rigoureuse et bien structurée : « Il aurait fallu penser à ce que les lieux de collecte soient différents des lieux de distribution du riz. Par exemple, on peut collecter au niveau des hangars installés auprès des mairies et disposer des conteneurs dans chaque quartier. Ainsi, une fois les bordereaux obtenus (après la pesée des déchets), le citoyen se rend dans un autre lieu pour recevoir le riz. »

Mais même avec une logistique bien pensée, il est selon elle indispensable d’associer les acteurs du recyclage et les entreprises qui utilisent le plastique comme matière première, afin d’éviter l’accumulation inutile des déchets collectés.

Une absence de collaboration fortement dénoncée

Dès la publication du communiqué, de nombreuses réactions ont fusé. Dans les commentaires, plusieurs PME et organisations de la société civile ont affirmé mener déjà ce type d’initiatives. Une inclusion de ces actions citoyennes existantes aurait pu faire la différence. Depuis 2022, Ecopoint travaille par exemple à structurer la collecte et la valorisation des plastiques à Conakry, selon sa fondatrice. « Il existe déjà beaucoup d’initiatives citoyennes qui contribuent à la récupération et à la valorisation des déchets plastiques. Il suffit de les fédérer, d’agir ensemble et de mettre en place une architecture… Ce genre d’initiatives ne doit pas être mené de façon isolée, afin de faciliter le travail, la gestion et la coordination… », souligne Fatoumata Chérif.

Une approche durable reste à bâtir

Au-delà de la récupération ponctuelle des déchets, l’éco-activiste appelle à une réforme de fond. Pour y parvenir, elle insiste sur l’application de la taxe du « pollueur-payeur ». Celle-ci viserait les entreprises qui importent ou produisent des contenants plastiques, en leur imposant la mise en place de points de collecte dans leurs centres de distribution. « C’est à elles de récupérer leurs déchets, ou de verser un montant au gouvernorat pour que celui-ci en assure la gestion, via ses agents… On doit obliger les sociétés qui produisent du plastique ou du verre à mettre en place des chaînes de collecte de leurs propres déchets et emballages… On peut également imposer une politique de recyclage aux sociétés de production d’eau et de boissons. Puisque ce sont leurs matières premières, elles peuvent les récupérer, et si elles n’en ont plus besoin, elles doivent créer un partenariat avec les sociétés qui utilisent ces contenants comme matière première », soutient-elle.

Agir ensemble pour des résultats durables

Si l’opération « Riz contre déchets plastiques » constitue un pas dans la bonne direction, elle met aussi en lumière la nécessité d’une approche plus inclusive, coordonnée et durable. « La question des déchets à Conakry peut être réellement résolue si les mesures sont appliquées de manière collective et que chaque acteur connaît son rôle. Donc, taxe pollueur-payeur appliquée, mesures prises à l’encontre des sociétés qui produisent ces polluants afin qu’elles les recyclent, subventionnent des PME de recyclage ou versent un montant forfaitaire au gouvernorat pour que celui-ci accomplisse ce travail à travers ses agents et ses camions. Ce n’est que de cette manière qu’on pourra résoudre durablement ce problème… », conclut Fatoumata Chérif.

La population, quant à elle, reste en attente de précisions sur le fonctionnement pratique de cette opération. L’efficacité du projet dépendra désormais de la capacité des autorités à structurer leur action, à impliquer les acteurs locaux et à transformer cette initiative ponctuelle en une véritable politique environnementale cohérente.

Fatoumata Chérif 

Elisabeth Zézé Guilavogui