Poulet local : entre préservation d'un patrimoine culinaire local et défi de souveraineté alimentaire

Poulet local : entre préservation d'un patrimoine culinaire local et défi de souveraineté alimentaire

À Conakry, le poulet local, symbole culinaire et culturel, lutte pour survivre face à l’afflux de volailles congelées importées. Entre traditions, enjeux économiques et souveraineté alimentaire, la filière avicole guinéenne est à la croisée des chemins.

À Conakry, les étals de volailles vivantes animent toujours les marchés populaires. Pourtant, leur avenir semble de plus en plus fragilisé. Le poulet local, longtemps considéré comme un mets d’exception lors des cérémonies et des repas familiaux, peine désormais à conserver sa place face à l’avalanche de poulets congelés importés. Moins chers, déjà plumés et disponibles en grande quantité, ces volailles venues d’Europe, du Brésil ou des États-Unis séduisent une clientèle urbaine de plus en plus sensible au prix et au gain de temps. Mais derrière chaque cage de poulets attachés, c’est tout un pan de l’économie domestique – des petits éleveurs aux revendeuses – qui lutte pour survivre face à cette concurrence étrangère.

Une tradition culinaire fragilisée

Jadis très prisé pour son goût et sa valeur symbolique, le poulet local occupait une place centrale dans la gastronomie guinéenne. Aujourd’hui, cette volaille est menacée par la montée en puissance des importations. « Avant, on ne connaissait que le poulet local. C’était celui qui se vendait dans nos marchés et qu'on partageait en famille. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, car les citoyens se tournent désormais vers le poulet congelé. Cela a considérablement réduit notre clientèle et ralenti nos ventes. Les rares clients qui nous restent sont des restaurants et surtout des personnes qui ont des sacrifices à accomplir », regrette Fatoumata Lamarana Diallo, vendeuse de poulets depuis plus d’une décennie au marché dit "peul" de Cosa.

Le poids de la concurrence et l’enjeux nutritifs

Dans ce marché, le prix d’un poulet vivant se négocie entre 50 000 et 120 000 GNF, selon sa taille et son poids, tandis qu’un poulet importé congelé coûte moins de 50 000 GNF. Une différence de prix qui oriente naturellement les ménages vers l’option la plus abordable, dans un contexte de pouvoir d’achat limité. « Le poulet importé est non seulement moins cher que le poulet vivant, mais aussi déjà plumé et prêt à l’emploi. Il me fait gagner du temps et coûte moins cher. Aujourd’hui, je suis ici uniquement parce que j’ai un sacrifice à faire qui exige un poulet local vivant. Sinon, je préfère largement le poulet congelé », confie Mme Tounkara, venue acheter trois poulets.

Avis partagé chez Housseynatou Bah, femme au foyer. « Cela fait des années que nous consommons du poulet importé. Il est moins cher et nous fait gagner du temps en cuisine. Le poulet local, je ne l’achète que pour les grandes occasions, comme les fêtes. Car il demande plus de travail », confie-t-elle.

Interrogé sur la polémique autour de la qualité nutritive du poulet local, un spécialiste en nutrition à Conakry explique que le poulet local surpasse largement la volaille congelée. « Il est plus riche en protéines et moins exposé aux produits de conservation. C’est une viande plus saine », tranche-t-il.

Des vendeurs en difficulté économique

Les acteurs de la filière locale ne cachent pas leurs difficultés. « Nous faisons souvent face à des pertes. L’aliment de volaille coûte cher, et il arrive que nos poulets tombent malades et meurent avant d’être vendus. Parfois, nous sommes obligés de les abattre pour limiter les pertes. Pendant ce temps, les clients préfèrent le poulet congelé », explique encore Fatoumata Lamarana Diallo.

Un enjeu de souveraineté alimentaire

Au-delà de l’aspect culturel, la question du poulet local soulève un enjeu stratégique : celui de la souveraineté alimentaire. Selon le ministre de l’Élevage, Félix Lamah, la Guinée importe chaque année plus de 70 000 tonnes de chair de poulet pour combler ses besoins. Une dépendance qui fragilise la sécurité alimentaire et compromet le développement de la filière avicole nationale.

« Développer la filière avicole locale, c’est garantir une sécurité alimentaire durable et protéger des milliers d’emplois », alerte Moussa Kaba, éleveur à Gomboya, dans la péripherie de Conakry.

Quel avenir pour le poulet local ?

Pour redonner un souffle à cette filière menacée, Moussa Kaba propose plusieurs pistes, dont entre autres :

  • Une subvention aux éleveurs et un allègement fiscal sur les intrants ;
  • La construction d’abattoirs et de chaînes de froid locales ;
  • Un appui technique pour améliorer la productivité et réduire les pertes ;
  • Des campagnes de sensibilisation sur la valeur nutritive et culturelle du poulet local.

À long terme, selon lui, de telles mesures pourraient non seulement préserver un patrimoine culinaire, mais aussi stimuler l’économie nationale et réduire la dépendance extérieure.

Aujourd’hui, la Guinée se trouve à la croisée des chemins : continuer à importer massivement au détriment de ses producteurs, ou investir dans une filière locale capable de répondre aux besoins croissants de sa population ?

Entre traditions qui s’effritent et modernité imposée par le marché mondial, l’avenir du poulet local dépendra autant de la volonté politique que du choix des consommateurs. Promouvoir la consommation locale et investir dans la filière avicole guinéenne pourrait bien devenir l’un des indicateurs majeurs de la capacité du pays à défendre sa souveraineté alimentaire dans un contexte de mondialisation.

Morlaye Keita