L’agonie discrète du fleuve Milo à Kankan

L’agonie discrète du fleuve Milo à Kankan

À Kankan, le fleuve Milo, jadis source de vie et de prospérité, se meurt dans l’indifférence. Entre ensablement, pollution, déforestation et exploitation anarchique des berges, ce patrimoine naturel et historique est gravement menacé. Le Pont Milo, symbole de la ville, en paie aussi le prix. Reportage au cœur d’une agonie silencieuse.

Dans la commune urbaine de Kankan, au quartier Kankan-Koura, le Pont Milo n’est pas qu’une infrastructure de franchissement : il est un témoin de l’histoire, un repère géographique, un levier économique et un lien vital pour des milliers d’habitants. Mais, aujourd’hui, ce symbole fort de la Haute-Guinée est sérieusement menacé. L’ensablement progressif du fleuve Milo, l’exploitation anarchique des berges pour la fabrication artisanale de briques, ainsi que l'absence d’un plan d’entretien adapté compromettent à la fois l’avenir du fleuve et celui du pont qui l’enjambe.
Construit dans les années 1950 sous l’administration coloniale, le Pont Milo est l’un des plus anciens ouvrages d’art de Kankan. Il relie les deux rives de la ville, facilitant la circulation entre le centre-ville et des quartiers périphériques comme Bordo, Missiran, Korialen, jusqu’à la route nationale menant à Mandiana et à la Guinée forestière. 


Fleuve MiloFleuve Milo de Kankan 

Moussa Camara, historien, revient sur l’origine de cette structure emblématique. « C’est sous la période coloniale, dans les années 50, que cet ouvrage a été construit. À l'époque, c’était une prouesse architecturale à Kankan. Les colons y avaient mis tout le sérieux. Même de petits bateaux pouvaient alors venir du Mali jusqu’à Kankan à des fins commerciales. C’est l’un des rares ouvrages encore debout datant de l’époque coloniale. Sa disparition ou même sa dégradation avancée constituerait une perte patrimoniale majeure. Malheureusement, il ne figure sur aucune liste de patrimoine protégé. Ce qui rend son avenir encore plus incertain », regrette-t-il.
Le pont traverse un fleuve qui a longtemps approvisionné Kankan en eau potable. Des activités maraîchères sont également pratiquées dans les environs. Mais aujourd’hui, le fleuve Milo s’étouffe. Le sable a envahi son lit, réduisant sa profondeur à quelques centimètres par endroits. La navigation, autrefois possible en saison des pluies, est désormais quasiment impossible.

Abdoulaye Diallo
Abdoulaye Diallo 


Abdoulaye Diallo, un riverain installé près du fleuve, témoigne : « Il y a vingt ans, on pouvait encore pêcher sous le pont. Aujourd’hui, même une pirogue ne peut plus passer. Les gens jettent leurs ordures dans le fleuve, y mènent toutes sortes d’activités malsaines. Mon champ de riz est juste à côté, ici à Kankan-Koura, mais franchement, la situation est déplorable. La fabrication artisanale de briques continue de détruire gravement le fleuve ».
Au-delà de l’ensablement, une autre menace plane sur le fleuve Milo : la dégradation des berges causée par des actions humaines incontrôlées. Le commandant Pema Grovogui, spécialiste de l’environnement et responsable préfectoral des forêts et de la faune de Kankan, confirme l’ampleur du problème. « Aujourd’hui, le fleuve Milo est dans un état critique. Les causes ? La déforestation en amont, la mauvaise gestion des eaux pluviales, et surtout l’exploitation incontrôlée des berges pour la fabrication de briques. La coupe abusive du bois a tout détruit. Il n’y a plus d’ombre, plus de vie. Quand vous allez à Bordo, au niveau du deuxième pont, c’est alarmant. La dégradation y est très avancée. Ce phénomène menace sérieusement la survie du fleuve et représente un risque écologique majeur », alerte-t-il.

Pema
Pema Groepogui 


Face à cette situation, le responsable gouvernemental propose des pistes de solutions : « Il faut sensibiliser la population, mettre en place des systèmes de gestion des déchets, reboiser les berges et surtout susciter une prise de conscience collective. Sinon, nous allons perdre ces ressources à jamais ». Il milite pour le civisme des citoyens et l’application rigoureuse des lois, qui sont, selon lui, indispensables.
Le long des berges, notamment à Bordo, Kankan-Koura, Salamani et Dalako, les briquetiers s’activent dès l’aube. L’un d’eux, interrogé en pleine activité sous anonymat, confie : « On n’a pas d’autre choix. C’est avec cette activité que je nourris mes enfants. Mais je reconnais que cela affecte le fleuve. Avant, il y avait des manguiers au bord de l’eau. Aujourd’hui, ce n’est que poussière et trous. On sait que notre activité a des conséquences, mais c’est aussi le manque d’emploi qui nous pousse ».

Amadou
Amadou Secteur Barry appelle à la prise de responsabilité collective. « Je suis vraiment attristé par la situation du fleuve Milo. En tant que citoyen, nous devons unir nos efforts pour le sauver. Les gens doivent arrêter de jeter les ordures sur les berges », lance ce citoyen.


Facely Sanoh