Forêts péri-urbaines à Conakry : comment les exploiter durablement ?

Forêts péri-urbaines à Conakry : comment les exploiter durablement ?

À Conakry, les forêts péri-urbaines disparaissent face à l’urbanisation. Découvrez comment les exploiter durablement tout en les protégeant.

Entre urbanisation anarchique et incontrôlée, activités commerciales et laxisme des autorités, les forêts péri-urbaines de la capitale Conakry comptent de moins en moins d’hectares. Peu valorisées, ces forêts pourtant essentielles pour les communautés pourraient disparaître à l’avenir, exposant la ville aux effets du changement climatique. Alors, comment les exploiter durablement pour le bénéfice des communautés tout en les préservant ? Eléments de réponse dans cet article...

Selon Global Forest Watch, de 2002 à 2024, Conakry a perdu 9 ha de forêts primaires humides, représentant ainsi 12% de sa perte totale au cours de la même période. La superficie totale de forêts primaires humides en Conakry a diminué de 1.7% au cours de cette période. En 2020, seulement, Conakry possédait 17.2 ha de forêt naturelle, s'étendant sur 41% de sa superficie. Mais en 2024, elle a perdu 6 hectares de forêt naturelle. Ce qui équivaut à 3.48 kt d'émissions de CO₂. Cette perte interpelle sur l’urgence de repenser la préservation et l’exploitation optimale de nos forêts.

Sur le terrain, dans les forêts d’Entag, de Dabompa et de Kakimbo, le constat est amer. Les abords des différentes forêts sont transformés soit en dépotoir, parc de vente des bétails ou encore espace de vente des plants. Ces activités, combinées aux constructions des populations, morcellent ces forêts chaque jour.

« Les menaces, en ce moment, se divisent en deux facteurs. Il y a les facteurs anthropiques, ceux qui sont causés par les activités humaines. Et il y a les facteurs naturels aussi, c'est-à-dire les changements climatiques. Quand vous prenez par exemple la construction urbaine, c'est-à-dire que ces forêts-là sont fragmentées par ces constructions parce que les riverains qui habitent à côté essayent de toujours fragmenter, rentrer à l'intérieur de ces forêts. Il y a aussi les voiries urbaines, la construction des routes, ainsi de suite. Vous allez comprendre qu'aujourd'hui, il y a beaucoup de constructions de hangars autour de ces forêts. Quand vous prenez par exemple Enta, Dabompa. Généralement, ces forêts constituent les nids des bandits parce qu'il n'y a pas de contrôle, il y a tout à l'intérieur », indique Albert Pépé Guilavogui, ingénieur des eaux et forêts environnement.

Ce constat est partagé par Emmanuel Denis Kolié, citoyen qui croit qu’on peut faire mieux pour sauver nos étendues vertes. « Moi, je m'inquiète pour la flore dans les années à venir, surtout au regard de tous ces fléaux qui prennent de l’ampleur (l’occupation et l'abattage anarchique des arbres qui déséquilibre certains aspects de la vie). Je pense que nous devrions mettre en valeur nos forêts. Cela peut être économique pour les communes qui abritent ces forêts d'un côté. De l'autre côté, cela permettra de créer des espaces verts qui peuvent accueillir les citoyens pour des moments de partage et de détente entre famille, de sport… », confie-t-il après un court séjour en Côte d’Ivoire où il a pu visiter le jardin botanique de Bingerville. « Nous pouvons reproduire en Guinée le même modèle avec les forêts de Kakimbo, d'Entag et de Dabompa. Cela peut lutter en quelque sorte contre le grand banditisme, car c'est souvent le nid de certains bandits, et valoriser l'espace vert qui a un impact positif sur notre santé », ajoute M. Kolié.

Comme lui, nombreuses sont les personnes qui pensent qu’on devrait pouvoir exploiter durablement ces forêts, en alliant détente et développement. C'est le cas de Hadja Mballou Fofana. « Je pense que c'est une très bonne chose de les transformer en sites touristiques ou agroécologiques. Ça dépendra de l'initiative des collectivités. Ces forêts leur appartiennent. Dans ce cas, ils peuvent garder et en faire par exemple, un parc d'attractions où il y a des petits animaux que les gens viennent voir, mais payants. Sinon, ils peuvent mettre des bancs dedans pour que les gens viennent s'y reposer ou ils peuvent construire justement des étangs piscicoles, des trucs pour les conserver. Mais ça ne dépend que d'eux. C'est de leur ressort de valoriser parce qu'ils peuvent gagner de l'argent avec. Imaginez, si vous avez des parcs avec des visiteurs qui vont venir, vous intégrez des animaux pour en faire un zoo ou autre chose d’utile, vous conservez la biodiversité, mais aussi vous faites payer. Et ça, c'est une source de revenus pour la commune », fait-elle remarquer.

Toutefois, même si l’idée est louable, il faudrait quand même y penser avec attention, selon Albert Pépé Guilavogui, ingénieur des eaux et forêts environnement. « Selon la législation, ce sont des forêts classées, donc dans les conditions normales, ça doit être géré et pas permis à tout le monde. Mais les périphéries, par exemple, peuvent être aménagées pour des récréations culturelles, mettre des endroits où on peut s'asseoir, se récréer. Mais à l'intérieur maintenant, par exemple, souvent on fait des essais scientifiques là-bas pour des reboisements. Il faut que ces plans soient protégés. Pour permettre aux gens de venir visiter ou passer du temps dans la forêt, il faut que ce soit réglementé, régularisé. Parce que la législation l’interdit puisque ce sont des forêts classées. Maintenant, nous, nous encourageons par exemple la création de ces parcs urbains, tels que les blue zones où les gens peuvent venir travailler. Mais pour les forêts classées, ou bien les forêts urbaines, il faut une régulation seulement à l'entrée. Et c'est permis, par exemple, pour des recherches scientifiques, des visites. Mais il faut que ça soit guidé par les spécialistes », explique le spécialiste.

Et pour réussir, il pense qu’on peut s’inspirer de la Côte d'Ivoire avec le parc national de Banco qui est en centre ville, avec l’implication des différents acteurs : le ministère de l'Environnement, la société civile, les bailleurs, les autorités communales via les gardes communaux…

Nous avons essayé de joindre l’Office national des loisirs pour savoir si des projets étaient déjà identifiés dans ce sens, ou que des réflexions pourraient être faites sur la question. Mais nous n’avons pas encore eu de retour concernant nos sollicitations d’entretien.

Selon Albert Pépé, il est primordial de préserver ces forêts périurbaines de Conakry qui sont aujourd’hui dans un état critique à travers la pression démographique qu'elles subissent. « Aujourd'hui, on ne connaît pas la superficie actuelle de nos forêts. Donc il faut reprendre l’inventaire pour connaître le périmètre de ces superficies. Il faut aussi la réglementation. Parce qu'il faut que chacune de ces forêts périurbaines soit gardée, protégée par des agents. Il faut la sensibilisation parce qu'on ne peut pas protéger une forêt sans faire intéresser la population urbaine. Et donc il faut former ces jeunes qui sont là, il faut les sensibiliser, les former, et les faire comprendre l'importance de ces forêts par rapport à leur vie », explique l’environnementaliste.

Elisabeth Zézé Guilavogui