Coupe abusive du bois : « Nos ressources forestières sont en forte régression », alerte Alpha Saliou Diallo, ingénieur forestier

Coupe abusive du bois : « Nos ressources forestières sont en forte régression », alerte Alpha Saliou Diallo, ingénieur forestier

En Guinée, l'abattage massif d'arbres pour le bois de chauffe menace gravement l’environnement. Alpha Saliou Diallo, expert forestier, alerte sur les conséquences.

Ces dernières années, l’abattage massif d’arbres pour le bois de chauffe et la production de charbon a connu une progression inquiétante en Guinée, dans un contexte de dégradation avancée de l’environnement. Cette pratique, répandue dans toutes les régions du pays, est liée à plusieurs facteurs, notamment la pauvreté et le manque d’accès à des sources d’énergie alternatives modernes. Ses conséquences sont nombreuses et affectent aussi bien le couvert végétal guinéen que l’environnement de manière générale.

Un contributeur de la plateforme IdimiJam.com s’est entretenu avec Alpha Saliou Diallo, ingénieur forestier, et chef de service chargé de l’éducation environnementale au Centre national de documentation environnementale (CNDE) de Kindia. Ensemble, ils ont abordé les aspects essentiels liés à l’exploitation abusive du bois à des fins domestiques.

IdimiJam : Avant d’entrer dans le vif du sujet, présentez-vous à nos lecteurs… 

Alpha Saliou Diallo : Je suis Alpha Saliou Diallo, enseignant-chercheur en service au Centre national de documentation environnementale à Kindia. Je suis titulaire d’un diplôme en ingénierie forestière obtenu à l’Université Hermanos Saiz Montes de Oca, en République de Cuba, ainsi que d’un Master en Génie de l’Eau et de l’Environnement, option Biodiversité et Développement Durable, obtenu à l’Université de N’Zérékoré. J’y ai d’ailleurs enseigné pendant cinq ans, au Département de Gestion des Ressources naturelles. Actuellement, je poursuis une thèse en Agriculture durable et Gestion des ressources en eau à l’Institut Supérieur Agronomique et Vétérinaire Valéry Giscard d’Estaing (ISAV-VGE) de Faranah.

Quel est, selon vous, l’état actuel des ressources forestières en Guinée ?

À mon avis, la situation est très préoccupante. Nos ressources forestières sont en forte régression. On observe une déforestation massive dans presque toutes les régions du pays, y compris dans les zones protégées. Si cette tendance se poursuit, les conséquences seront dramatiques, tant pour l’environnement que pour les générations futures.

Quelles sont les principales zones concernées par l’abattage massif pour le bois de chauffe et la fabrication du charbon ?

Les régions les plus touchées sont la Haute-Guinée, notamment Kankan et Siguiri, ainsi que la Moyenne-Guinée, en particulier Labé et Pita. En Guinée forestière, des localités comme Macenta et N’Zérékoré sont également concernées. Autour de Conakry, la pression est très forte en raison de la demande élevée en bois de chauffe et en charbon.

Quelles sont les causes profondes de cette exploitation incontrôlée ?

Plusieurs facteurs expliquent cette situation. D’abord, la pauvreté : de nombreuses familles vivent de l’exploitation du bois. Ensuite, l’accès limité aux énergies alternatives. Il faut aussi mentionner le faible encadrement des activités forestières, le manque de contrôle sur le terrain, et parfois des complicités locales qui favorisent cette exploitation illicite.

Quelles sont les conséquences directes sur l’environnement, et existe-t-il un lien avec le changement climatique ?

Oui, les conséquences sont bien réelles : perte de biodiversité, érosion des sols, baisse de la fertilité des terres, et assèchement des cours d’eau. Tous ces phénomènes aggravent la variabilité climatique. La disparition des forêts entraîne également une libération accrue de CO₂ dans l’atmosphère, contribuant ainsi au dérèglement climatique.

Quelles lois ou réglementations encadrent actuellement cette pratique, et sont-elles appliquées efficacement ?

Il existe effectivement un Code forestier, un Code de l’environnement, ainsi que plusieurs arrêtés ministériels. Mais leur application reste très faible sur le terrain. Les moyens humains et logistiques font défaut, et les sanctions sont rares. En conséquence, les textes existent, mais ne sont pas respectés.

Quel rôle jouent les services forestiers, les autorités locales ou les ONG dans le contrôle de cette exploitation ?

Les services forestiers ont un rôle central, mais ils sont souvent dépassés par l’ampleur du phénomène. Les autorités locales pourraient être des partenaires clés si elles s'impliquent réellement. Quant aux ONG, elles accomplissent un travail remarquable : sensibilisation, formation, reboisement, plaidoyer pour une meilleure gouvernance environnementale.

Quelles alternatives réalistes pourraient être proposées pour réduire la pression sur les forêts ?

Il en existe plusieurs. Il faut d’abord renforcer les capacités des conservateurs de la nature, car on ne peut pas protéger ce dont on ignore l’importance. Il est aussi crucial de promouvoir les foyers améliorés, les cuisinières solaires, ou encore les briquettes écologiques. La reforestation communautaire et le développement de filières économiques alternatives pour les jeunes et les femmes sont également des pistes prometteuses. Ces solutions sont accessibles à condition d’être bien soutenues.

Quels messages clés souhaitez-vous faire passer aux décideurs publics et à la société civile ?

Aux décideurs, je dirais : agissez maintenant. Donnez aux services environnementaux les moyens de remplir leur mission, renforcez les lois et appliquez-les. Cherchez aussi à mieux évaluer la valeur économique de nos forêts, un indicateur important pour leur protection.

Et à la population, je voudrais dire : protégeons nos forêts, car elles nous protègent en retour. Chacun peut contribuer, même à travers de simples gestes au quotidien.

Propos recueillis par Mohamed Diawara