Guinée : plaidoyer pour une fonction publique accessible à tous
Handicap en Guinée : Ousmane Diané plaide pour une fonction publique accessible, une éducation et une santé inclusives, conformément aux lois en vigueur.
Handicap en Guinée : Ousmane Diané plaide pour une fonction publique accessible, une éducation et une santé inclusives, conformément aux lois en vigueur.
En Guinée, les personnes en situation de handicap font face à de nombreuses difficultés. Entre la mendicité, les obstacles d’accès aux infrastructures et aux services publics, ainsi que les difficultés d’obtention d’un emploi, ces personnes vulnérables ne savent plus à quel saint se vouer. Pourtant, les lois leur reconnaissent les mêmes droits que les autres citoyens, avec parfois des dispositions spéciales liées à leur condition. Mais dans les faits, rien ne change véritablement. Une situation qui pousse certains activistes et défenseurs des droits à demander une attention particulière de la part des autorités. Avec d’autres organisations de la société civile, Ousmane Diané, activiste et défenseur des droits des personnes handicapées, porte d’ailleurs un plaidoyer en ce sens. Il nous en dit en détail dans cette interview accordée à IdimiJam.com.
Le plaidoyer que nous défendons repose sur trois axes prioritaires. Le premier concerne la mise en place des organes de veille : un organe de veille et de coordination pour l’application de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, que la Guinée a ratifiée depuis 2008. Parmi ces organes figure le Conseil national indépendant du handicap, déjà pris en compte dans la nouvelle loi promulguée par le président de la République sur la promotion et la protection des personnes en situation de handicap. Cette loi prévoit justement la mise en place de cet organe de contrôle et de coordination.
Le deuxième axe est celui de l’éducation inclusive, un système d’enseignement général qui accueille tous les enfants dans la même salle de classe, en tenant compte de leurs différences et des besoins spécifiques de certains élèves. Actuellement en Guinée, l’éducation spécialisée prédomine, comme en témoignent l’école des sourds-muets de Boulbinet et l’école Sogué de la Cité Solidarité. Nous souhaitons qu’à l’avenir, ces écoles spécialisées soient intégrées au système d’enseignement général.
Le troisième axe concerne la santé inclusive. L’équité en santé exige l’adoption d’une politique nationale de santé inclusive prenant en compte les besoins des personnes en situation de handicap, notamment des femmes dans les maternités. Les équipements hospitaliers doivent être adaptés pour faciliter leur prise en charge, et l’accès aux structures de santé doit être garanti, y compris pour les personnes en fauteuil roulant. L’accessibilité doit aussi concerner les personnes déficientes sensorielles (sourds, sourds-muets, non-voyants et malvoyants). Or, dans les hôpitaux, il n’existe généralement aucun dispositif permettant aux sourds-muets de se faire comprendre durant les consultations. Dans un système de santé inclusif, des dispositifs – numériques, intelligents ou humains – doivent permettre aux personnes déficientes auditives d’échanger avec les médecins via des interprètes ou des traducteurs.
Ces dispositifs doivent être prévus dès l’accueil. Les hôpitaux publics doivent disposer d’interprètes en langue des signes. Les documents doivent aussi être accessibles en format braille pour les non-voyants et malvoyants, afin qu’ils disposent du même niveau d’information que les autres citoyens concernant l’accès aux soins, aux écoles publiques et privées, ainsi qu’aux infrastructures.
Toutes ces recommandations s’appuient sur les dispositions de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées.

Oui, c’est également un volet important de notre plaidoyer. Il faut rappeler que l’accès à l’emploi est prévu par les articles 90 et 91 de la loi portant « Promotion et protection des personnes en situation de handicap », récemment promulguée en septembre. L’article 90 garantit l’accès à l’emploi à tout citoyen guinéen ayant les compétences requises, sans discrimination liée au sexe ou au handicap. L’article 91 traite de l’égalité des chances dans l’accès aux emplois publics et privés. Il précise que lors des concours de la fonction publique, des aménagements spécifiques doivent être mis en place pour permettre aux personnes handicapées de concourir dans des conditions équitables.
Pour les déficients visuels, les sujets doivent être disponibles en braille. Pour les déficients auditifs, des supports numériques ou, lorsque nécessaire, l’assistance d’une tierce personne doivent être prévus. Pour les personnes handicapées physiques, un aménagement des salles de concours est indispensable.
Cependant, la question de la dérogation a été omise dans la nouvelle loi. Pourtant, la Guinée a toujours permis l’accès des personnes handicapées à la fonction publique par dérogation directe, c’est-à-dire sur sélection de dossier, lorsque les diplômes et les qualifications sont dûment établis. La dérogation peut également prendre la forme d’un concours spécifique. À ce sujet, la ministre de la Promotion féminine, de l’Enfance et des Personnes vulnérables avait annoncé en décembre 2024 l’organisation d’un concours spécifique pour le recrutement de 100 agents handicapés à la fonction publique au premier trimestre 2025. Nous sommes désormais hors délai, mais nous renouvelons notre plaidoyer pour que les autorités organisent ce concours et tiennent compte de la diversité des profils.
Le dernier recrutement dérogatoire remonte à 2019, cinquième promotion des personnes handicapées. La première avait été enregistrée sous le régime du président Lansana Conté, suivie d’une autre durant la transition dirigée par le capitaine Dadis Camara, puis d’autres promotions jusqu’à celle de 2019. Depuis, nous attendons un recrutement massif. De nombreux dossiers sont déposés auprès de la Fédération guinéenne pour la promotion des associations de personnes handicapées. La plupart des personnes handicapées diplômées sont aujourd’hui sans emploi et attendent d’être convoquées pour un éventuel concours spécifique.
Oui, il y a de l’espoir, car l’engagement des autorités est réel. Comme je l’ai rappelé, la ministre de la Promotion féminine, de l’Enfance et des Personnes vulnérables s’était engagée à recruter 100 personnes handicapées. C’est une volonté politique importante. En tant qu’organisation de la société civile, nous poursuivons le plaidoyer auprès des ministères concernés – Promotion féminine, Fonction publique, Budget et Finances – pour que des mesures urgentes soient prises. Les dossiers s’accumulent d’année en année, ce qui renforce l’urgence d’un recrutement.
Nous souhaitons que ces citoyens en situation de handicap puissent accéder à un premier emploi. Ils ont longtemps souffert de discrimination et d’exclusion, mais beaucoup d’entre eux ont réussi à obtenir des diplômes dans les institutions d’enseignement supérieur, technique et professionnel du pays. Cela mérite d’être reconnu. Leur intégration professionnelle contribuerait aussi à réduire la mendicité, l’extrême pauvreté et l’exploitation dont ils sont parfois victimes. Ils ont un rôle à jouer dans le développement socio-économique du pays. Nous espérons que notre plaidoyer sera entendu au plus haut niveau de l’État.
Mon dernier mot s’adresse au Président de la République, le Général Mamadi Doumbouya, pour attirer son attention sur la situation des personnes handicapées. Le président a déjà posé des actes humanitaires depuis l’avènement du CNRD. On se souvient de sa visite à une de nos camarades, aujourd’hui conseillère au Conseil national de la Transition. Certaines personnes handicapées ont également été nommées à des postes de responsabilité. Nous en appelons à son sens élevé de l’humanisme pour qu’il prenne en considération le cas des étudiants handicapés diplômés en quête d’un premier emploi. Il faut éviter qu’ils sombrent dans la mendicité, ce qui serait préjudiciable à l’image du pays. Nous remercions par ailleurs le président pour les travaux de rénovation en cours à la Cité Solidarité.
C’est pourquoi l’espoir demeure que les autorités feront bientôt face à la problématique de l’employabilité des personnes handicapées, afin d’en faire une véritable priorité nationale.
Propos recueillis par Elisabeth Zézé Guilavogui