Analyse 2024–2025 : malgré une nouvelle loi et des avancées institutionnelles, la Guinée reste confrontée à une traite humaine persistante, marquée par l’impunité et des failles systémiques.
En 2024, la Guinée est restée à la fois pays d’origine, de transit et de destination pour la traite des êtres humains. Malgré une loi renforcée et une hausse de la détection des victimes, l’exploitation persiste, enracinée dans la pauvreté, l’impunité et les failles institutionnelles.
Selon le rapport 2024 du Département d’État américain sur la traite des personnes (TIP Report), la Guinée a identifié 762 victimes de traite en 2024, contre 155 en 2023, soit une hausse spectaculaire de 392%. Une progression qui reflète avant tout une meilleure capacité de détection, grâce à la formation accrue des forces de l’ordre et des ONG, plutôt qu’une explosion du phénomène lui-même.
Pourtant, seules 36 victimes ont effectivement bénéficié d’une assistance institutionnelle, sur un total de 762 recensées. Le pays ne dispose actuellement que de six centres d’accueil fonctionnels, souvent sous-financés et dépendants de l’aide internationale.
Des avancées juridiques notables…
La Guinée a vu l’adoption d’une nouvelle loi anti-traite (L/2023/0013/CNT), entrée en vigueur en avril 2024. Ce texte élargit la définition de la traite, durcit les peines, et crée un fonds national d’assistance aux victimes, encore en attente de financement.
Selon le ministère guinéen de la Justice, 11 trafiquants ont été condamnés et 36 poursuites engagées en 2024. Un chiffre encourageant, mais encore faible au regard de l’ampleur du phénomène. Les enquêtes restent longues, la protection des témoins quasi inexistante, et la corruption freine souvent les procédures.
La Guinée conserve ainsi son classement en catégorie “Tier 2” dans le rapport TIP 2024 : des efforts significatifs, mais insuffisants pour répondre aux standards internationaux.
Les femmes et les enfants, les principales victimes
Les chiffres officiels sont sans appel :
- 64% des victimes sont mineures, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM);
- 80% des victimes d’exploitation sexuelle sont des femmes.
Les formes d’exploitation les plus courantes demeurent le travail forcé domestique et minier, la mendicité forcée des enfants, la prostitution contrainte et les mariages forcés.
Les zones les plus touchées sont :
- Conakry, pour l’exploitation domestique et sexuelle ;
- Siguiri et Dinguiraye, pour le travail minier des enfants ;
- Labé et Mamou, foyers de mendicité forcée, souvent sous couvert religieux.
Les réseaux transnationaux relient aussi la Guinée à la Sierra Leone, au Mali, au Libéria et parfois au Moyen-Orient.
53 000 Guinéens en “esclavage moderne”
Le Global Slavery Index 2023 de la Walk Free Foundation estime à 53 000 le nombre de personnes vivant en situation d’« esclavage moderne » en Guinée, soit environ 4 pour 1 000 habitants. Ces formes incluent le travail forcé, la servitude domestique, la traite sexuelle ou le trafic d’enfants.
Ce chiffre place la Guinée dans la moyenne des pays d’Afrique de l’Ouest, mais souligne la persistance d’un système d’exploitation informel, toléré et sous-documenté.
Malgré la loi de 2024, l’application reste inégale et fragmentée :
- absence de système national unifié de données ;
- faible coordination entre ministères, ONG et forces de sécurité ;
- financement instable des programmes sociaux ;
- formation insuffisante des magistrats et policiers.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) appellent à une structuration nationale du suivi des cas, appuyée sur des bases de données communes et une stratégie de protection durable.
En 2025, les acteurs nationaux et internationaux s’accordent sur quatre priorités immédiates :
- Appliquer pleinement la loi de 2024, en adoptant les décrets d’exécution et en dotant le fonds d’aide de ressources réelles ;
- Créer un système unifié de données sur la traite et l’exploitation ;
- Renforcer les capacités judiciaires et sociales, par la formation et l’équipement des acteurs de terrain ;
- Soutenir durablement les ONG locales et développer des mécanismes de réinsertion sociale et économique des victimes.
Un fléau qui dépasse les frontières guinéennes
La situation guinéenne s’inscrit dans une dynamique régionale préoccupante. En Afrique de l’Ouest, la traite des personnes se nourrit de frontières poreuses, du chômage massif et de réseaux criminels transnationaux.
Au Mali, des cas similaires de travail forcé d’enfants dans les mines d’or ont été documentés par l’UNODC. Tandis qu’au Nigeria, les trafics à des fins sexuelles touchent des milliers de femmes migrantes chaque année.
Et la Guinée partage avec ses voisins de la sous-région les mêmes défis : faibles moyens, corruption et ancrage social de la pauvreté.
Certes notre pays progresse sur le plan juridique et institutionnel, mais l’exploitation humaine reste massive et largement sous-documentée. Les efforts actuels, sans mécanismes pérennes de financement et de coordination, risquent de s’essouffler.
Tant que la justice, l’éducation et la protection sociale ne seront pas véritablement renforcées, la traite des personnes continuera d’être un fléau structurel en Guinée.
*Photo par luiserharter formulaire PxHere.