Détention préventive : un fléau judiciaire qui alimente la surpopulation carcérale en Guinée

Détention préventive : un fléau judiciaire qui alimente la surpopulation carcérale en Guinée

La détention provisoire est une pratique consistant à incarcérer une personne présumée innocente qui n'a pas encore été condamnée. En Guinée, les textes de lois font mention de ce fléau, tout en précisant les conséquences qui découlent de ladite pratique, si les règles ne sont pas respectées…

La détention provisoire est une pratique consistant à incarcérer une personne présumée innocente qui n'a pas encore été condamnée. En Guinée, les textes de lois font mention de ce fléau, tout en précisant les conséquences qui découlent de ladite pratique, si les règles ne sont pas respectées, selon deux spécialistes du droit que notre rédaction à contactés. 

La détention provisoire, talon d’Achille de la justice guinéenne

Selon Me Foromo Frédéric Loua, avocat au Barreau de Guinée et Directeur exécutif de l’ONG Les Même Droits pour Tous, la détention préventive est une présomption de culpabilité. C’est la possibilité que le juge a de pouvoir maintenir quelqu’un en détention avant même son jugement. Cet activiste de défense des droits humains ajoute aussi que c’est une violation des principes. « On dit que personne ne doit être mise en prison sans qu’elle ne soit jugée. Mais dans le cadre de la détention préventive, la loi permet à un juge de détenir quelqu’un avant même son jugement. C’est une violation du principe de protection des libertés. La détention préventive est encadrée par la loi et assortie de conditions très strictes pour que véritablement cette situation ne devienne pas un abus », a évoqué Me Foromo Frédéric Loua.

Que prévoit la loi guinéenne en la matière ?

Détenir quelqu’un, il faut un titre de détention, un mandat de dépôt qui est un acte pris par le juge d’instruction et qui autorise le régisseur de la Maison centrale à recevoir et à maintenir quelqu’un en détention. « Et ce titre est valable dans un délai bien déterminé. C’est pourquoi en matière délictuel, la durée du titre est de quatre mois. Passé ce délai, il doit être renouvelé. Et son renouvellement doit être motivé », précise notre interlocuteur.

D’après lui, il faudrait dans ce cas dire pourquoi le détenu est resté en prison pendant quatre mois et pourquoi on n’a pas été capable de le juger. « La loi donne encore un autre délai de quatre mois. En tout état de cause, au-delà de huit mois, une personne poursuivie pour une infraction délictuelle doit pouvoir être jugée. Au-delà de cela, la personne est détenue de façon illégale », détaille Me Loua qui ajoute qu’en matière criminelle « la loi autorise le juge à détenir quelqu’un en détention pendant six mois, le temps de conduire l’instruction préparatoire et de procéder à son jugement. Si au terme des six mois, la justice n’a pas été capable de le juger, il faut que le juge d’instruction rende une ordonnance motivée, sur réquisition également motivée du procureur de la république pour pouvoir renouveler le titre de détention qu’on appelle également mandat de dépôt. Donc, on renouvelle encore pour six autres mois et la personne qui est poursuivie, au-delà de douze mois, si elle n’est pas jugée et continue à rester en détention, sa détention est illégale et viole gravement la loi ».

Me Foromo Frédéric Loua

A la question de savoir s'il y a des éléments fondamentaux sur lesquels l'on peut se baser pour parler de détention provisoire, Me Foromo Frédéric Loua énumère certains. « Il faut d’abord que la personne fasse l’objet de poursuites pénales, c’est-à-dire que la personne soit soupçonnée d'avoir commis une infraction à la loi, un comportement antisocial. Quand c’est le cas, la personne est interpellée par les services de police judiciaires qui procèdent à l’enquête préliminaire qui dure 48 heures ; au-delà desquelles, la personne est conduite devant le procureur de la République qui a trois options », dit-il. 

Ces options sont :

  • Soit le procureur prend le cas en flagrant délit (lorsque c’est une infraction délictuelle qui est commise) ; en pareille situation, il a l’autorisation de délivrer un mandat de dépôt et la personne est conduite en prison et est jugée dans les jours qui suivent ;
  • Soit il décide de saisir un juge d’instruction. Et là, on ouvre l’instruction préparatoire. Et le juge, c’est lui qui est chargé de la gestion des mandats. Il peut, soit placer la personne en détention provisoire lorsqu’il estime que cette personne doit pouvoir aller en prison avant même le jugement (c’est pourquoi Me Loua estime que la détention préventive viole le droit à la liberté parce qu’elle permet au juge de renvoyer quelqu’un en prison avant même qu’elle ne soit reconnue coupable). « Quelquefois, la personne peut être jugée et reconnue non coupable. Pendant ce temps, on aurait violé ses droits car il a déjà été en prison » souligne l’avocat. D’autres fois, le juge d’instruction peut décider que la personne ne doit pas aller en prison, il la place alors sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire il restreint un peu sa liberté, en l’obligeant à venir régulièrement dans le bureau du juge pour signer un document. Mais si la personne viole cette restriction, le juge peut convertir le contrôle judiciaire en détention provisoire. 
  • Soit il décide de laisser la personne en liberté pendant qu’il conduit l’instruction préparatoire. Et après il rend une ordonnance de renvoi s’il estime que les faits relevés contre la personne sont suffisamment graves pour justifier son jugement, il prend une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. Toutefois, s’il estime qu’aucune infraction n’a été commise, il rend une ordonnance de non-lieu et la personne est définitivement libre.

Arrestations abusives et surpopulation carcérale

Abdoul Aziz Diallo est président de l’antenne de guinéenne de l’organisation de défense des droits humains Amnesty International-Guinée. Il relève que ces derniers temps, en Guinée, les défenseurs des droits humains assistent à une vague d'arrestations de citoyens et d’acteurs sociopolitiques. Des arrestations qui, selon lui, sont en violation du Code de procédures pénales. « Quand vous partez en prison, vous trouvez toute sorte de personnes. Des personnes qui méritent d'être là-bas, selon les magistrats, mais aussi d'autres qui selon nous, ne méritent pas d'être là-bas. Parce que les conditions pour les emmener en prison ne sont pas remplies. Donc, les magistrats, la gendarmerie, la police, devraient faire la part des choses. Si ce n'est est pas un criminel et que l'acte n'est pas déterminé, ou s'il n y a pas de suspicion des violations de principes posés à l'article 265 du code, normalement, on devrait laisser la personne rester chez elle, le temps que le procès soit organisé. Mais si on estime que les conditions posées par le Code de procédures pénales sont remplies, on peut les garder », a aussi expliqué cet autre défenseur des droits humains.

Il déplore également le recours abusif à la détention provisoire pour des infractions mineures. « Pour des délits comme des prêts non remboursés ou des litiges civils, on envoie des gens en prison. Nos maisons de détention sont pleines de personnes qui attendent depuis des années sans avoir comparu devant un tribunal, alors que le code pénal fixe des délais précis », insiste-t-il.

 

Abdoul Aziz Diallo

Abdoul Aziz Diallo

Des plaidoyers pour limiter la détention provisoire 

Le premier responsable d’Amnesty Internationale en Guinée plaide pour des procédures judiciaires plus rapides afin de réduire la population carcérale et respecter les délais légaux. « Nous demandons aux autorités d’organiser des procès pour les détenus provisoires. Actuellement, des audiences se tiennent au tribunal de Mafanco avec l’appui de l’ONU Droits de l’Homme (...) Récemment, le ministre de la Justice a libéré plusieurs détenus qui ne devraient pas être en prison. Au-delà de la détention provisoire, un autre problème subsiste : certains prisonniers ayant purgé leur peine restent en détention, faute de juges d’exécution des peines », regrette Abdoul Aziz Diallo.

DS Kamara