Le puuto, de symbole d’élite à accessoire de mode en Guinée…

Le puuto, de symbole d’élite à accessoire de mode en Guinée…

Symbole ancestral de l’identité peule, le puuto incarne prestige, sagesse et héritage culturel depuis plus de trois siècles. De signe de dignité à accessoire tendance, découvrez son histoire, ses significations et la controverse autour de sa modernisation en Guinée.

Symbole fort de l’identité peule depuis plus de trois siècles, le puuto — ou puutooru — est bien plus qu’un simple bonnet. Chargé d’histoire et de significations, il a longtemps été perçu comme un signe de prestige et de sagesse, incarnant respect, humilité et élévation morale, des valeurs fondamentales de la culture peule. Jadis réservé à des classes sociales bien définies et porté lors de cérémonies prestigieuses, le puuto s’impose aujourd’hui comme un accessoire tendance. Arboré par un public de plus en plus large en République de Guinée, parfois loin de son contexte culturel d’origine, il suscite des avis partagés entre défense du patrimoine et appropriation moderne.

Un objet chargé d’histoire

Entièrement confectionné à la main, à l’aide d’aiguilles, de fils et d’un tissu appelé soffi, le puuto serait apparu en 1725, au XVIIIᵉ siècle, dans la sous-préfecture de Tolo, à Mamou, plus précisément à Guelin, sous l’ère du royaume théocratique du Fouta-Djalon.

Autrefois, il était exclusivement réservé à quatre catégories sociales : l’érudit, le roi, le patriarche et le riche. Chacune avait sa manière de le porter, comme l’explique Mamadou Lamine Niakaté, artisan et gérant de l’entreprise Pouto Made in Guinea, spécialisée dans sa production et sa promotion. « Ceux qui soulevaient tout le milieu du bonnet étaient des patriarches. Les rois ne relevaient qu’une partie, toujours vers l’avant, pour signifier leur rôle de dirigeants. Quant aux érudits et aux chefs religieux, ils portaient le bonnet avec la partie soulevée vers l’arrière, symbole de leur savoir », explique-t-il.

Les motifs du puuto eux-mêmes portent une forte charge symbolique. Ils représentent le Fouta théocratique et ses neuf Diwés (provinces) : Labé, Bhouria, Timbi, Timbo, Keebaali, Kollaadhé, Koïn, Fougoumba et Fodé Hadji. « Les huit motifs situés sur les côtés représentent huit Diwés, tandis que Timbo, l’ancienne capitale, est symbolisée par le motif central. Celui qui porte un puuto porte ainsi, métaphoriquement, le Fouta entier sur sa tête », précise M. Niakaté.

 

Puuto

Mamadou Lamine Niakaté, artisan et gérant de l’entreprise Pouto Made in Guinea - © DR

D’un insigne de dignité à un phénomène de mode

Ce qui était jadis un signe de distinction sociale et morale s’est transformé, au fil du temps, en phénomène de mode, notamment dans les milieux urbains. À Conakry, de nombreux jeunes l’adoptent pour son allure « authentique » et « classe », sans toujours en connaître la portée symbolique. « C’est un style qui me plaît. Ça me donne un look africain et respectable. Donc je l’ai intégré à mes habitudes vestimentaires, même si j’ignore sa réelle signification », confie Alimou Diallo, jeune entrepreneur rencontré à Sonfonia, dans la haute banlieue de Conakry.

Sur les réseaux sociaux, influenceurs, artistes urbains et politiciens contribuent également à sa popularisation, faisant du puuto un véritable accessoire tendance.

Un signe de banalisation, pour certains traditionalistes

Cette démocratisation ne fait toutefois pas l’unanimité. Pour certains défenseurs des traditions, le port du puuto par des personnes n’ayant ni la stature morale ni la légitimité religieuse constitue une forme de profanation culturelle. « Aujourd’hui, on voit des jeunes dans les boîtes de nuit, les buvettes, et des femmes qui en portent. C’est irrespectueux ! », s’indigne Elhadj Mamadou Bah, maître coranique dans un quartier populaire de Conakry.

Ces critiques traduisent une crainte plus profonde : celle de voir disparaître le sens originel de cet objet culturel, réduit à un simple accessoire vestimentaire.

Puuto

Entre héritage et réinvention

La controverse autour du puuto reflète une tension plus large entre héritage culturel et modernité. Si certains y voient une perte de sens, d’autres saluent au contraire une réappropriation positive qui contribue à maintenir vivant ce symbole fort de l’identité peule. « Le puuto n’est pas une question de religion mais de culture. Autrefois réservé aux vieux Peuls, il est aujourd’hui porté par des jeunes de toutes les ethnies. On ne peut que s’en réjouir. Les traditions ne sont pas faites pour rester figées : elles doivent évoluer avec le temps et les réalités contemporaines », soutient Mamadou Lamine Niakaté.

Reste à savoir si, dans cet usage modernisé, le puuto continuera d’inspirer respect et fierté ou s’il finira par se fondre parmi de simples accessoires de mode.

Alors qu’il gagne en popularité en Guinée et au sein de sa diaspora, certaines personnes plaident déjà pour que ce bonnet traditionnel soit inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, afin de préserver son authenticité et d’assurer sa transmission aux générations futures.

Morlaye Keita