Tontines en Guinée : quand l'épargne informelle finance les rêves et soutient l'économie

Tontines en Guinée : quand l'épargne informelle finance les rêves et soutient l'économie

Dans les quartiers de Conakry comme dans les villages reculés, la tontine s’impose comme un pilier silencieux de l’économie informelle

À Conakry, comme dans les campagnes guinéennes, les tontines rythment le quotidien de nombreux Guinéens. Ce système d’épargne populaire, basé sur la confiance et la solidarité, permet à des milliers de personnes – femmes, jeunes, commerçants ou travailleurs précaires – de financer des projets, surmonter les imprévus et créer leur propre emploi. Un pilier discret mais puissant de l’économie informelle.

Dans les quartiers animés de la capitale guinéenne ou les villages reculés de l’intérieur du pays, la scène est désormais familière : une poignée de femmes ou de jeunes réunis autour d’un carnet, d’un téléphone ou d’un simple cahier, échangeant des montants fixés à l’avance. À tour de rôle, chacun reçoit la cagnotte. C’est la tontine, une pratique ancestrale revisitée au goût du jour, devenue une bouée de sauvetage économique pour de nombreux Guinéens.

Un filet de sécurité économique et social

« Je participe à une tontine depuis huit mois. J’étais la dernière à recevoir la cagnotte. Grâce à cet argent, j’ai pu m’acheter une armoire. Je compte aussi démarrer un petit commerce pour éviter de passer les vacances dans la galère », raconte Aïcha, institutrice dans une école privée de Conakry. Comme elle, des milliers de personnes, en particulier des femmes, utilisent ces fonds pour s’équiper, scolariser leurs enfants, ou investir dans des activités génératrices de revenus.

La tontine fonctionne selon un principe simple : un groupe fixe une somme et une durée, puis chaque membre cotise régulièrement. À chaque tour, l’un d’eux reçoit la totalité de la cagnotte. Aucune paperasse, pas de dossier de crédit, seulement la parole donnée. Et c’est souvent suffisant.

« Ma banque, c’est la tontine »

« Si je ne participe pas à une tontine, je dépense tout mon argent sans rien mettre de côté. Mais là, je suis obligé de verser ma part chaque mois. Pour moi, c’est comme une banque, sans paperasse ni déplacement », confie Yamoussa, conducteur de tricycle à Madina. 

Pour ceux qui sont exclus du système bancaire ou ne répondent pas aux critères d’éligibilité, la tontine représente donc l’unique voie vers l’épargne et le crédit.

Une dynamique économique souterraine mais puissante

Mamady Keita, économiste, insiste sur le rôle structurant de cette pratique dans l’économie informelle. « La tontine permet de mobiliser rapidement des fonds. Ces ressources sont souvent utilisées pour démarrer ou renforcer de petites activités commerciales. Elle joue un rôle de levier dans la création de richesses », explique-t-il.

Au-delà de l’épargne, la tontine encourage l’initiative. « Quand on s’engage dans une tontine, on est souvent poussé à entreprendre pour pouvoir cotiser. C’est un moteur discret de l’auto-emploi », ajoute l’économiste.

Entre espoirs et désillusions

Mais le système a ses failles. Le risque majeur ? L’insolvabilité ou la fuite d’un membre avec la cagnotte. Mabinty Sylla, commerçante à Enta marché, en banlieue de Conakry, en a fait l’amère expérience. « J’ai perdu plus de sept millions de francs guinéens. Une fois, le responsable du groupe a disparu avec notre argent. Une autre fois, plusieurs membres n’ont pas payé quand c’était mon tour. Depuis, je ne rejoins plus un groupe sans vérifier sa fiabilité », confie-t-elle.

Pour pallier ces dérives, certains groupes instaurent des conditions strictes. « Chez moi, il faut être parrainé, avoir une activité génératrice de revenus, et présenter un garant. Ce sont les règles », explique une gestionnaire de tontine expérimentée interrogée par une contributrice d’IdimiJam.com dans le cadre de la rédaction de cet article.

Vers une formalisation du système ?

Face à l’importance de cette économie parallèle, certaines institutions de microfinance commencent à s’y intéresser. « Des comptes tontines sont ouverts dans des structures formelles. Cela renforce la sécurité et facilite le suivi », note Mamady Keita. Un glissement progressif vers le formel, qui pourrait contribuer à une meilleure inclusion financière des populations exclues du système classique.

Un levier de transformation économique

L’économiste est formel : bien encadrée, la tontine peut devenir un puissant levier de développement. « Épargner, c’est investir. Investir, c’est créer des emplois. Et l’emploi, c’est la clé du progrès économique. La tontine, si elle est bien exploitée, peut participer à la transformation structurelle de l’économie guinéenne », fait-il.

La tontine est bien plus qu’un simple mécanisme d’épargne : c’est une réponse locale à des défis structurels, un outil d’autonomisation, et un espoir d’avenir pour ceux qui n’ont généralement ni compte en banque, ni garantie. Une finance solidaire, à visage humain, pourrait-on dire.

Mayamba Traoré