Cordonnerie artisanale en Guinée : un métier ancestral en péril

Cordonnerie artisanale en Guinée : un métier ancestral en péril

La cordonnerie artisanale guinéenne, héritage culturel et économique, fait face à des défis majeurs mais demeure un levier pour l’emploi et le Made in Guinea.

La fabrication artisanale de chaussures en cuir est une activité ancestrale en République de Guinée, profondément enracinée dans les traditions du Fouta Djallon et de la capitale, Conakry. Transmise de génération en génération, cette pratique incarne non seulement une source de revenus pour de nombreux artisans, mais aussi un patrimoine culturel riche et vivant. Cependant, malgré son potentiel économique et culturel, la cordonnerie artisanale guinéenne se heurte à de nombreux obstacles qui menacent sa pérennité.

Des matières premières rares et coûteuses

À Conakry, les artisans font face à une pénurie de matières premières essentielles, notamment les peaux animales, pilier de leur activité. Faute d’infrastructures adaptées dans la capitale, ils sont contraints de se tourner vers l’intérieur du pays, notamment Labé, pour le tannage.

Thierno Mamadou Diakité, cordonnier depuis 25 ans et propriétaire d'un atelier artisanal sis au quartier Tannerie, témoigne : « Pour fabriquer nos chaussures, nous utilisons différents outils : caoutchoucs, pointes, cartons, colorants… Nous travaillons principalement avec trois types de peaux : de bœuf, de mouton et de chèvre. Même si l’on peut s’en procurer dans les abattoirs, elles sont souvent fraîches. On doit alors les envoyer à Labé pour le tannage, car il n’y a aucune tannerie fonctionnelle à Conakry. Cela augmente nos coûts, surtout en saison sèche ».

Thierno Mamadou Diakité

En saison des pluies, le tannage permet de stocker davantage de peaux. Mais face à la rareté ou au coût élevé, certains artisans se tournent vers des matières alternatives comme la gomme.

La hausse des prix aggrave la situation : une peau bien traitée peut atteindre 30 000 GNF, une boîte de colle coûte désormais 40 000 GNF (contre 20 000 auparavant), et les colorants varient entre 60 000 et 70 000 GNF. « Le problème des colorants nous épuise. Les prix changent constamment, et certaines couleurs, comme le rouge actuellement, sont introuvables. C’est un vrai parcours du combattant », déplore Mamadou Diakité.

 

Concurrence déloyale et contrefaçons

Outre les difficultés d’approvisionnement, les artisans guinéens doivent affronter la rude concurrence des produits importés, souvent de contrefaçon. Le marché est inondé de chaussures "faussement en cuir", principalement en provenance de Chine, et de modèles sénégalais séduisants mais peu durables.

 « Les clients se font rares, même pendant les fêtes comme la Tabaski ou le Ramadan. Beaucoup préfèrent les articles importés, jugés plus modernes ou prestigieux. Résultat : nos créations peinent à trouver preneur », fustige Diakité. Cette perte d’intérêt pour les produits locaux constitue une menace supplémentaire pour le secteur.

Manque de modernisation et absence de soutien

La cordonnerie artisanale guinéenne reste largement manuelle, sans accès à des équipements modernes ni structures d'accompagnement. « Nous n’avons ni tannerie locale (hormis à Labé), ni centre de formation, ni atelier de production digne de ce nom. Pour évoluer, il nous faut un réel soutien », souligne cet artisan qui fabrique également des sacs, ceintures et portefeuilles en peau ou cuir.

Selon lui, la relance du secteur passe par plusieurs leviers essentiels  notamment :

  • L'équipement des artisans en machines spécifiques à la cordonnerie à savoir des machines à coudre, des outils de pose (pinces, marteaux, œilletiers), ainsi que des outils de finition, des limiers, des ciseaux et  tranchets… ;
  • La création de tanneries locales pour un cuir accessible et de qualité, la construction de centres artisanaux modernes, ouverts aux jeunes et aux professionnels, des formations techniques complètes incluant marketing et gestion à l'intention des artisans ;
  • La valorisation du "Made in Guinea"  par des labels, campagnes, salons, plateformes numériques, l'instauration de  mesures incitatives : subventions, allègements fiscaux, protection contre les importations déloyales.

Préserver un patrimoine en danger

La cordonnerie artisanale guinéenne, riche de son histoire et de son savoir-faire, est aujourd’hui en péril face à la mondialisation, au manque de moyens et à l’absence de politique de soutien.

Pourtant, ce métier traditionnel pourrait jouer un rôle clé dans la lutte contre le chômage, la valorisation du patrimoine culturel et le développement local.

Il est donc urgent que les autorités publiques, les collectivités locales et les partenaires privés se mobilisent pour sauvegarder ce secteur. Car sans action concrète, ce pan précieux de l’identité guinéenne pourrait disparaître à jamais.

Morlaye Keita