L’illustration, un art précieux en quête de reconnaissance en Guinée
Dessins, récits, mémoire : en Guinée, l’illustration cherche sa place. Découvrez un art oublié, mais essentiel pour éduquer et faire réfléchir.
Dessins, récits, mémoire : en Guinée, l’illustration cherche sa place. Découvrez un art oublié, mais essentiel pour éduquer et faire réfléchir.
En Guinée, lorsque l’on parle d’art, l’attention se porte presque instinctivement sur la musique, la danse traditionnelle ou le théâtre. Pourtant, d’autres formes d’expression artistique, tout aussi riches et porteuses de sens, peinent à s’imposer dans le paysage culturel national. C’est notamment le cas de l’illustration : un art visuel encore largement ignoré, mal compris et sous-estimé, malgré son immense potentiel.
L’illustration consiste à traduire un texte ou une idée en image. Elle s’exprime à travers des dessins, des peintures, des collages, des infographies ou encore des animations, et s’intègre dans une multitude de supports : livres, magazines, affiches, jeux vidéo, films, sites web, etc. Bien plus qu’un simple ornement graphique, elle raconte, informe, sensibilise et éduque.
Pour Mamadou Saliou Diallo, illustrateur formé à l’Institut Supérieur des Arts Mory Kanté, à Dubreka, l’illustration est un outil de narration, d’éducation et de mémoire. « C’est un formidable vecteur de transmission culturelle et de sensibilisation citoyenne », affirme-t-il.
Cette discipline pourrait jouer un rôle important en Guinée dans des domaines variés. Grâce à des visuels percutants, elle peut éveiller les consciences sur des enjeux majeurs comme l’environnement, la santé publique, les violences, l’excision ou l’exploitation des enfants. Car elle facilite la compréhension, notamment auprès des publics peu alphabétisés, tout en valorisant les traditions locales. L’illustration peut aussi contribuer au débat public, mobiliser les communautés et renforcer l’expression des droits. « Un bon dessin peut dire ce qu’un long discours ne peut pas », résume Saliou Diallo.
Malgré ses nombreux atouts, l’illustration peine à s’imposer comme une discipline artistique reconnue en Guinée. « Quand je dis que je suis illustrateur, on me demande souvent ce que c’est, et si c’est un vrai métier », confie-t-il, depuis Cosa, dans la banlieue de Conakry, où il est installé.
Saliou Diallo
Ce manque de reconnaissance se traduit par un désintérêt institutionnel et un cruel déficit d’opportunités. En dehors de quelques rares commandes de sensibilisation émanant d’ONG, les contrats sont peu nombreux, mal rémunérés et souvent très contraints sur le plan créatif. « On nous appelle parfois pour dessiner des moustiques ou des filets anti-paludisme, mais jamais pour raconter une histoire guinéenne », déplore-t-il.
Contrairement à d’autres pays de la sous-région, la Guinée ne dispose ni de politique publique dédiée à l’illustration, ni de bourses, ni de salons nationaux du dessin, ni même d’expositions ou de formations spécialisées. « Beaucoup d’illustrateurs sont autodidactes, formés sur le tas, souvent par passion. Ce manque de professionnalisation pèse lourdement sur la structuration de notre métier », ajoute Saliou Diallo.
À cela s’ajoute la difficulté d’accès aux matériaux de travail. Encre, gouache, papier bristol, crayons professionnels… Ces outils sont rares, coûteux et difficilement accessibles dans le pays. « La Papeterie Centrale de Guinée est pratiquement le seul endroit où l’on peut trouver du matériel de qualité – et encore, à des prix très élevés », nous a confié un autre artiste.
Malgré ces obstacles, les talents ne manquent pas. Pour faire émerger cette discipline, Mamadou Saliou Diallo propose plusieurs pistes : intégrer l’illustration dans les programmes éducatifs, de l’école primaire à l’université, créer des événements dédiés, comme des expositions ou des concours, inclure les illustrateurs dans les campagnes nationales, offrir des bourses de formation et faciliter l’accès aux outils professionnels. Il plaide aussi pour une numérisation de la pratique et la création d’un marché structuré, en lien avec les ONG, les entreprises et les institutions.
L’illustration guinéenne ne manque pas de créateurs talentueux. Ce qui lui fait défaut, c’est la reconnaissance, nous a-t-il assuré.
Invisibilité, précarité, absence de soutien : cet art a besoin d’un coup de projecteur, mais surtout d’un véritable engagement politique et culturel. Valoriser l’illustration, c’est investir dans une jeunesse créative, dans la mémoire visuelle collective, et dans une forme d’expression universelle capable d’accompagner le développement du pays.
Morlaye Keita