Guinée : le tourisme en quête de fondations durables…
Découvrez les défis du tourisme en Guinée : sites dégradés, enjeux environnementaux et nécessité d’un développement durable impliquant les communautés locales.
Découvrez les défis du tourisme en Guinée : sites dégradés, enjeux environnementaux et nécessité d’un développement durable impliquant les communautés locales.
Le 22 novembre dernier, l’Office national du tourisme (ONT) a procédé au lancement de la Saison touristique, au compte de l’année 2025, avec N’Zérékoré comme nouvelle destination. Cette cérémonie de lancement a mobilisé autorités, cadres, influenceurs, citoyens et amoureux de la nature aux pieds du mont Nimba. En prélude à cette célébration, un riche programme a permis aux invités de cette édition de découvrir quelques sites et merveilles de la zone.
Pourtant, même si l’initiative reste louable, elle soulève des inquiétudes et des doutes. Pour beaucoup d’observateurs, on cherche à attirer les touristes avant d'avoir valorisé, sécurisé et protégé les sites. La question qui se pose est donc : que vont visiter les touristes au final, si la beauté se noie dans la dégradation et la négligence ?
Souvent surnommée « Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest », ou encore « le paradis », la Guinée possède un large éventail touristique et culturel qui ne laisse pas indifférent. Entre les plages et îles de rêves en Basse-Guinée, les belles montagnes et leurs magnifiques chutes d’eau en Moyenne-Guinée, les grandes savanes de la Haute-Guinée et les riches forêts et cultures de la Guinée Forestière, le pays pourrait faire concurrence à d’autres destinations mondialement reconnues. Mais, malgré cette riche diversité culturelle et naturelle, nombre de ces sites peinent à être valorisés et protégés.

Ce constat est partagé par de nombreuses personnes. C’est le cas de Mansa Moussa Mara. « Au lancement de chaque saison touristique en Guinée, j’ai un pincement au cœur. Notre pays (...) possède un éventail touristique. Mon récent passage à Soro, un village de pêcheurs près de Conakry, illustre parfaitement ce paradoxe. J’y ai découvert une magnifique plage et des eaux turquoises, mais cette beauté est immédiatement menacée par la pollution plastique. J'y ai aussi vu une maison des jeunes, construite grâce à la contribution communautaire, mais qui risque d’être engloutie, car très menacée par la montée des eaux », confie ce citoyen dans une publication qu’il a faite sur le réseau social Facebook.
Le cas de cette zone n’est pas isolé. A l’image de ce village, Kassa, Tayaki (dans la haute banlieue de Conakry) et d’autres sites restent peu valorisés par les services publics chargés de promouvoir la “destination Guinée”, nécessitant parfois l’implication d’acteurs privés et des communautés pour améliorer la situation. Ce qui montre un contraste frappant : d’un côté, un potentiel naturel immense capable de générer des revenus ; de l'autre, des communautés et des acteurs privés qui luttent avec les moyens de bord contre la dégradation environnementale et pour la promotion de ces sites.
Plusieurs initiatives ont certes été mises en place par les autorités ces dernières années pour améliorer le secteur du tourisme : organisation régulière de la saison touristique, création/rénovation de sites, valorisation de festivals et/ou événements promouvant les cultures et traditions, etc. Mais en dépit de ces actions, la contribution du secteur du tourisme atteint moins de 1% au PIB national, selon les données citées lors du lancement de la saison touristique de l’année 2025. Le gouvernement par la voix du Premier ministre, Amadou Oury Bah, affiche la nouvelle ambition de porter cette contribution à 5% du PIB. Toutefois, une question reste sans réponse : comment le gouvernement compte-t-il y arriver si les sites touristiques guinéens ne sont pas suffisamment protégés et valorisés ? D’autant que cette ambition, bien que louable, nécessite d’énormes efforts. Or, très souvent les actions restent cantonnées à la communication, à l'événementiel et aux grandes annonces. Ce qui donne l'illusion d'une saison touristique active, mais sans véritables fondations, puisque l’engouement suscité lors du lancement retombe rapidement après l’extinction des projecteurs.
On veut certes attirer des touristes. Mais les attirer vers quoi si les plages sont couvertes de plastique, si les villages se font grignoter par l’érosion et la montée des eaux, si les routes vers les cascades sont souvent impraticables, si les communautés qui vivent sur ces sites n’ont ni soutien ni infrastructures ? Il faut que les fondamentaux (protection, accessibilité, propreté, implication des communautés, etc.) soient réellement mis en place. La saison touristique doit pouvoir attirer l’extérieur pendant que l’intérieur est prêt, car un touriste, qu'il soit étranger ou local, est d’abord attiré par une expérience authentique et unique.
Les communautés sont les premiers gardiens de nos sites. Mais aujourd'hui, elles sont souvent absentes des décisions, des financements, des bénéfices alors que le tourisme ne doit pas être qu’un simple chiffre, mais un levier de développement local et national. Les communautés ne demandent pas de grands complexes hôteliers, des aménagements ultra-chics ou des actions immenses sur leurs sites. Elles demandent tout simplement que les espaces touristiques dans leurs communautés soient protégés, sécurisés et valorisés avec leur implication. En plus d’attirer les touristes vers les communautés, cela permettrait de créer des emplois pour les habitants et générer des revenus, qui pourront être réinvestis pour le développement de ces localités.
Dans les zones insulaires, la principale inquiétude des communautés reste la préservation de leur environnement : que leurs villages ne disparaissent pas sous la montée des eaux, que leur environnement reste propre avant et après le passage des touristes, que le plastique ne prenne pas le pas sur la terre…
Pour que le secteur touristique fonctionne et prenne son envol, il faudra que les communautés locales en soient les premiers acteurs et bénéficiaires.
Pour un tourisme qui prend en compte les communautés comme acteurs et bénéficiaires, il faudrait un plan de développement du secteur touristique axé sur la valorisation avant l'attraction. Et pour cela, les actions suivantes pourront changer la donne :
La Guinée peut devenir un modèle touristique, parce qu’elle a l’âme, la nature, l’histoire, l’hospitalité et la beauté nécessaire pour cela. Mais il faut se le dire : le tourisme guinéen ne décollera pas avec des slogans, ni avec des saisons touristiques inaugurées sans plan de développement derrière, ou encore avec des cérémonies où l’on invite des artistes et des influenceurs simplement pour amplifier l'événementiel.
Le tourisme est une politique de long terme où on préserve, implique, aménage, éduque, protège, puis valorise. C’est un capital naturel et humain que l'on cultive et dont on partage équitablement les fruits. Et tant que nous ne nous soucions pas de ce qui est gâché sur nos plus beaux paysages, l'objectif de 5% du PIB restera une ambition, avec les communautés locales comme premières victimes d’un manque de vision à long terme, alors que ce sont elles qui gardent les sites, qui les vivent et qui en paient le prix lorsque tout s’effondre. Le développement du tourisme guinéen se doit d’être une responsabilité partagée.
Elisabeth Zézé Guilavogui